Premier long métrage de Daniel Auteuil à titre de réalisateur, La fille du puisatier est un film bercé par une nostalgie et un amour qui semblent sincères. Ainsi, même si les moeurs et le langage de ces personnages sont achroniques (mais surtout pas anachroniques, heureusement), on est plutôt charmé par l'aspect supranaturel qui se dégage de situations inconcevables pour un esprit d'aujourd'hui. C'est un dépaysement en soi, qui vaut bien les « voyages » géographiques où on peut admirer les beaux paysages; ici, pourquoi ne pas admirer cette langue, qui est si belle? Pourquoi ne pas s'imprégner de cette conception de l'honneur familial depuis longtemps oubliée?
Ainsi, le film est fidèle à cette pudeur que l'on associe à la première moitié du XXe siècle; les euphémismes sont nombreux pour décrire l'adultère de la jeune Patricia avec le pilote Jacques Mazel, forcé de partir à la guerre, la laissant enceinte et délaissée, tout comme la manière de séduire, de se marier, etc. Cet univers inhabituel dans le cinéma d'aujourd'hui est de ce fait plutôt imprévisible; on peut se laisser (agréablement) surprendre par les décisions prises par les personnages, eux qui sont poussés par des impératifs que l'on ne connaît ou n'applique plus. Ils contournent donc bien des clichés, permettant à l'histoire de conserver sa fraîcheur.
Les acteurs y sont tous à l'aise (ce qui n'était pas une mince affaire), sans doute inspirés par la passion pour le sujet d'Auteuil et son enthousiasme, visibles à l'écran. Astrid Berges-Frisbey y est d'ailleurs excellente, délicate et habile avec ce voyage temporel cinématographique. Le mélange d'humour et de drame y est d'ailleurs fort efficace, l'aspect inédit y étant renforcé par la réalisation compétente et modeste d'Auteuil. Sans doute par respect pour le sujet, il n'est pas question ici de faire de l'ombre au récit à travers une réalisation ostentatoire; la simplicité prévaut, et cela sert admirablement le récit.
Car il faut bien dire que La fille du puisatier n'est pas particulièrement innovateur et qu'il relève davantage du travail de l'artisan que de l'artiste. Mais ce travail est bien fait, toujours compétent à défaut d'être particulièrement inspiré... ce qui n'est pas plus mal, en fin de compte. On note d'ailleurs que les acteurs ultra-connus - de Kad Merad jusqu'à Sabine Azéma - n'ajoutent rien à l'impact émotif du film et qu'ils l'inscrivent d'autant plus dans une logique d'industrie cinématographique; celle, à nouveau, de l'artisanat. On comprend bien que le scénario était déjà aussi puissant avant qu'Auteuil ne le porte une nouvelle fois à l'écran...
La fille du puisatier version 2011 s'inscrit aussi dans une mouvance de changement de la spectature en extirpant le film original de son contexte historique (tournage interrompu par la guerre en 1940, etc.) pour élaguer l'oeuvre cinématographique des distractions émotives qui l'entourent (incluant la nostalgie intello qui dénigre tout remake). On en apprécie de manière plus pure le travail cinématographique, la nécessité du cinéma pour raconter l'histoire (pourquoi pas un roman?). Même imparfait, ce film permet de réfléchir à la situation, à la valeur et à l'importance du cinéma. Un jour, la réponse sera pleinement satisfaisante.