Il y a beaucoup plus de « danse » que de « réalité » dans La danse de la réalité, de l'artiste surréaliste chilien Alejandro Jodorowsky, lui qui s'adonne aussi au théâtre, à la littérature et à la bande-dessinée depuis plus de 60 ans. Un premier film en 23 ans pour l'homme, qui fait pratiquement l'objet d'un culte auprès des cinéphiles avertis. Aussi bien l'avouer tout de suite parce que cela teintera certainement ce qui suit : c'est le premier film du réalisateur que je vois. Un premier contact avec son oeuvre qui est nécessairement altéré par cette méconnaissance de ses oeuvres phares El Topo et La montagne sacrée. Quoique ça nous donne l'opportunité de nous arrêter aux qualités cinématographiques de l'oeuvre plutôt que de couvrir de louanges cet auteur important qui occupe pratiquement une place de prophète chez certains...
Adapté d'une autobiographie de la vie de Jodorowsky, La danse de la réalité se passe dans son village natal de Tocopilla, au Chili. On y trouve une mère aux seins surdimensionnés qui ne s'exprime qu'en chantant des lignes d'opéra, un père tyrannique, un dictateur, mais aussi des nains, des clowns, des amputés, un cirque, une procession, un concours de déguisements de chiens, un complot d'assassinat, des figures christiques, de la torture et une lourde narration pseudo-obscure qui évoque des concepts métaphysiques quasi-New Age pourtant plutôt élémentaires. Comme on pouvait s'y attendre, le résultat est aussi baroque que possible; le réalisateur parvient à évoquer avec tous ces éléments disparates des émotions aussi puissantes qu'imprévisibles, qui font rire ou pleurer ou les deux à la fois. Très intense, mais très dispersé aussi.
Or, on atteint rapidement un niveau de saturation avancé, si bien que même les bonnes idées (cette mère cantatrice, par exemple) deviennent redondantes. À 130 minutes, La danse de la réalité est bien trop long, il paraît même parfois interminable. La présence de deux personnages centraux, le père (joué par le fils) et le fils, peut expliquer en partie ces flottements qui apparaissent en deuxième moitié du film, mais ce sont aussi certains tableaux qui, quoique souvent jolis, s'étirent trop sans raison.
Les symboles et allégories sont nombreux et puissants, la poésie émane de ce film par tous les orifices. Ce sont des flashs poétiques, vibrants, qui ne forment malheureusement pas un tout.
La danse de la réalité, par sa proximité avec son auteur (le récit de sa vie adapté d'une autobiographie), s'adresse certainement plus spécifiquement aux connaisseurs de son oeuvre. À 85 ans, Jodorowsky y fait sans doute le bilan d'une vie qui a la même qualité que ce film inclassable (mais pas abstrait), celle d'être très bien rempli.