Il y a chez Kim Nguyen un désir d'étrangeté. (En effet, après Truffe, ça ne prenait pas un bac en cinéma pour dire ça). Une étrangeté, une bizarrerie qui se manifeste efficacement lorsqu'il est question de direction d'acteurs, qui ont un décalage assez intéressant d'avec leur univers - étrange en lui-même - et avec les images. De très jolies images. Riches, apparemment travaillées, comme c'était le cas pour Truffe, justement. Mais c'est le scénario qui ici fait défaut; le propos trop simple et la trame narrative trop mince nuisent grandement à l'instauration d'une ambiance singulière. De quelque ambiance que ce soit, d'ailleurs.
Alors que la guerre vient de prendre fin, le médecin Max Orswell arrive dans un petit village du désert afin d'attendre la caravane qui le mènera au bateau qui le ramènera chez lui. Sur place, un soldat tyrannique dirige la ville de sa main de fer, brimant au passage les habitants ancestraux de la région, les Hérénites. Lorsque qu'une épidémie de peste bubonique jaillit dans la cité, les autorités décident d'expulser les Hérénites et de placer la ville en quarantaine. Mais alors que les morts s'entassent à l'intérieur des murs, les Hérénites combattent efficacement l'infection. Leur principal problème est en fait que la nourriture viendra bientôt à manquer.
Campée dans un village hors du temps et de l'espace, bordé de tous les côtés par le désert et le soleil, l'intrigue de La cité porte déjà son lot de mystère. Ce que Kim Nguyen fait bien, c'est d'installer le décor où se déroule son drame. Mais il n'y a pas de drame, sinon du factice. Les noeuds dramatiques sont très minces, et le récit ne propose que bien peu de tension. Même un revirement dramatique final où les méchants retrouvent le chemin du Juste n'atteint pas l'émotion convoitée. D'autant que le message porté par ce geste final est ambigu, et une scène qui aurait pu dégager une grande force dramatique si on c'était mieux consacré au personnage du « méchant » devient plutôt une simple évidence; une conclusion logique à une construction dramatique chancelante.
Autre exemple : la mythologie des Hérénites n'est pas suffisamment au centre des préoccupations à prime abord pour devenir en second lieu un ressort dramatique. L'honneur posthume qu'on fait au héros à la fin du film ne porte donc pas en lui la solennité qu'on ne peut, à défaut, que supposer.
Exploration simplifiante de concept d'exploiteur, de tyran et de terres ancestrales, La cité ne va pas au bout de ses idées, préférant lui subtiliser un message de paix faussement unificateur. Un message affreusement infantilisant, reprenant une comptine dans une sorte de message de paix un peu aberrant qui ne convainc pas. Croit-on vraiment qu'ouvrir la barrière une fois que tout est terminé encouragé les exilés à revenir? Il faut rebâtir la confiance, convaincre... mais le film n'y s'y intéresse pas.
Bien des films ont tendance à être trop verbeux, et on dit parfois qu'il faut « laisser parler les images ». C'est vrai, lorsqu'on parvient à leur insuffler un sous-texte, un discours discret qu'il faut pénétrer, après s'être laissé imprégner par le film. C'est entre les deux que La cité échoue. Parfois exagérément contemplatif, le film est bourré de « belles » images, qui n'ont finalement rien à ajouter. La cité est en fait un conte, court et concis, et préférablement transmis oralement. Au cinéma, il est allongé inutilement, et la beauté des images en dilue la leçon.
On dirait Denis Villeneuve il y a dix ans; même si ses films manquaient de cette finesse qu'apporte un véritable scénariste, il était un plasticien rigoureux. Un scénariste aura permis de mettre son talent de « faiseur d'images » au profit d'un propos plus engageant (sans être consensuel pour autant). Kim Nguyen aura a le même défi à accomplir.