Le cinéma québécois tire sa vitalité de la diversité de ses créateurs et des sujets qu'ils choisissent d'aborder, mais aussi de leur détermination à mener à bien leurs projets. Présenté au FNC l'automne dernier et aux RVCQ en février, La cicatrice, de Jimmy Larouche, fait partie de ces films d'auteur - petits, certes, mais uniques et ne manquant certainement pas d'ambition - qui font la richesse d'une cinématographie nationale autrement fortement balisée et polarisée. S'il est peu probable que le film connaisse le succès populaire des comédies estivales, il n'en demeure pas moins une proposition de qualité à placer bien en évidence dans ce qui « fait » le cinéma québécois, de ce qui le définit.
Tout en étant dédié entièrement à ses thèmes brûlants d'actualité - l'intimidation, la vengeance - La cicatrice se tient habilement loin de l'exposé théorique et du mélodrame sur le sujet. En éclatant sa structure, il augmente non seulement sa vigueur narrative, mais contourne aussi le misérabilisme qui aurait pu faire dérailler le projet. Cette histoire de vengeance se dévoile donc progressivement, à mesure qu'on découvre les moments charnières qui marqueront toute une vie et qui mènent à la tragédie qui se joue sous nos yeux.
Le réalisateur maîtrise et exploite avec grand talent le concept de profondeur, lui qui déplace ses personnages dans un décor mais aussi à travers les époques, sans que ces interventions ne paraissent forcées; au contraire, le mouvement est très fluide, très précis et juste assez ésotérique pour qu'on accepte progressivement la proposition. La construction dramatique s'en trouve renforcée, même si les liens de cause à effet sont parfois un peu simplistes. De plus, l'esprit de synthèse du réalisateur ne se dément jamais, et à 80 minutes (1h20) La cicatrice est aussi un bel exemple de concision. Les conclusions et les jugements sont laissés au spectateur, qui se sent donc impliqué dans le récit. La finale va aussi dans ce sens.
Le jeu des comédiens est sensible et efficace. Si aucun ne se démarque, c'est que plusieurs sont tour à tour les meneurs de jeu. Marc Béland, Patrick Goyette, Normand D'Amour, Loeik Bernier, Dany Bouchard et Sébastien Leblanc ont tous l'occasion de marquer leurs scènes par leur jeu senti, tout en retenue, mais bouillonnant. Leur unité et leur crédibilité sont grandement bénéfiques au film.
La cicatrice manoeuvre aussi habilement à travers les époques qu'à travers les culpabilités et les genres; à la fois suspense psychologique et drame moral, le film de Jimmy Larouche dit beaucoup, offre beaucoup à réfléchir. Le grand talent du réalisateur est de maintenir le film au-dessus des jugements, des dénonciations manichéennes malgré des thèmes tirant vers le mélo (enfance difficile, alcoolisme, divorce, etc.). Voilà donc un film québécois intéressant et crédible, et qui participe au dialogue entre créateurs et public.