Il faut dire que le public et les critiques attendaient de pied ferme le nouveau film de Denys Arcand. Après l'échec du Règne de la beauté, les fans craignaient que le réalisateur fasse les mêmes faux pas que par le passé. Titrer son nouveau projet « La chute de l'empire américain » était culotté de la part du cinéaste. Le déclin de l'empire américain est son oeuvre la plus prestigieuse, un classique du cinéma; et si ce nouveau film n'était pas à la hauteur et venait teinter a posteriori son chef-d'oeuvre... Le pari était risqué.
Rassurez-vous d'abord, La chute de l'empire américain n'est pas l'échec que vous craigniez. C'est un film à propos, beau et accessible. Il ne sera jamais qualifié de chef-d'oeuvre comme ses homologues « américain » et « barbares », mais il est certainement satisfaisant grâce à son intelligence caustique et la pertinence de son sujet. Comme il en a l'habitude, Arcand a rédigé des dialogues musclés qui forcent le spectateur à rester pendu aux lèvres des personnages. Le monologue de Pierre-Paul en introduction est un véritable petit bijou de scénarisation. Dès les premières minutes, on comprend l'esprit du protagoniste, sa quête et les limites de son éthique personnelle.
Il faut dire qu'Alexandre Landry fait un travail exceptionnel sous les traits de ce philosophe désillusionné qui se croit plus sage et lucide que le commun des mortels. Maripier Morin, en escorte de luxe, impressionne aussi. Celle qui n'avait jamais porté le chapeau de comédienne avant ce premier rôle au cinéma (qui plus est, dans un film de l'un des réalisateurs québécois les plus influents) incarne, avec beaucoup de nuances, une jeune femme mystérieuse à laquelle on s'attache rapidement. Impossible de ne pas mentionner son immense beauté. Ses yeux jaunes percent l'écran et hypnotisent les cinéphiles. De plus, elle porte des vêtements somptueux qui rehaussent sa magnificence. Notre étoile du match revient quand même à Vincent Leclerc, qui personnifie un sans-abri à l'âme charitable, qui nous touche dès les premiers mots. Il nous offre d'ailleurs la plus belle scène du film.
La chute de l'empire américain s'avère certainement être l'une des oeuvres les plus accessibles du réalisateur québécois. Cela ne vient, par contre, pas sans quelques contrecoups négatifs. L'histoire d'amour entre les deux protagonistes est tellement stéréotypée qu'on ne peut s'empêcher de lever les yeux au ciel à quelques occasions. Cette jolie prostituée qui abandonne son métier après avoir trouvé l'amour dans les bras d'un docteur en philosophie désabusé et altruiste est plus difficile à croire que la fraude qu'ils échafaudent ensemble.
Cette thématique de l'argent et ce questionnement que Denys Arcand installe en nous sont pertinents. On ne peut faire autrement que se demander si, à la place de Pierre-Paul, nous aurions, oui ou non, volé les sacs remplis de billets de banque que des criminels avaient abandonnés après une fusillade. Qu'on ait une réponse ou non à ce débat moral, La chute de l'empire américain mérite qu'on s'y attarde. Que ce soit pour l'unique rhétorique d'Arcand ou les yeux jaunes de Maripier...