Il est rare de réussir son premier film au cinéma. À moins de s'appeler Xavier Dolan (J'ai tué ma mère) ou Philippe Lesage (Les démons). Évidemment, cette liste n'est pas exhaustive (on peut y inclure Podz, Maxime Giroux, Lawrence Côté-Collins récemment, etc.), mais l'important est surtout d'apprendre de ses erreurs et de revenir plus fort pour le second. C'est ce qui est arrivé à Rafaël Ouellet (Derrière-moi), Nathalie Saint-Pierre (Catimini) et même Christian de la Cortina avec Generation Wolf. L'histoire se répète heureusement pour Steve Kerr qui avait mordu la poussière sur son précédent Columbarium.
On le sent davantage en possession de ses moyens sur La chasse au collet, explorant à nouveau différents genres qui ne s'agencent pas toujours bien ensemble. Il fracasse le destin de deux tranches d'existences qui ne possèdent pas nécessairement le même impact. La plus réussie est celle d'une jeune hygiéniste dentaire (Julianne Côté) sans expérience sexuelle qui décide de s'inscrire à un site de rencontres favorisant les aventures extraconjugales. Bien que la première scène du long métrage lève le voile sur les rares surprises qui vont suivre, le segment fonctionne grâce au talent de son interprète. Julianne Côté est une des plus brillantes comédiennes de sa génération et elle livre une autre performance nuancée. Dommage qu'on continue encore à l'associer à son rôle dans l'excellent Tu dors Nicole. Plusieurs échanges entre individus sont à la recherche de cet humour absurde spécifique à Stéphane Lafleur, versant plutôt dans les malaises inopérants.
Plus souvent qu'autrement, c'est la vie de l'inventeur du site de rencontres en question qu'on explore. Ce dernier est incarné par Paul Doucet, dont la progression rappellera celle des horribles 3 p'tits cochons. L'homme a une femme (Anne-Marie Cadieux), une maîtresse (Ève Duranceau), un meilleur ami à peine plus sexiste que lui (Christian Bégin). Il converse souvent dans un parc avec un inconnu (Normand Daneau) qui sait tout de lui (on se croirait parfois dans l'illustre JFK d'Oliver Stone) et il serait heureux sans ces lettres anonymes qui le pourchassent. En voulant être plus "social", le scénario contrôle mal les poncifs et les propos moralisateurs dans sa façon de philosopher sur le capitalisme, le pouvoir, l'infidélité, la justice et la moralité. Un peu plus et on retrouve la lourdeur d'un 1:54 au sein de ce désir de vouloir aborder des « thèmes nécessaires et importants au détriment du reste ». Les acteurs trop souvent prisonniers de personnages caricaturaux ne peuvent se faire valoir.
Cette alternance entre les deux héros ne trouve malheureusement pas d'écho dans la mise en scène. La réalisation de Kerr alterne les champs-contrechamps banals et les plans de remplissage, alors que le montage parallèle n'élève jamais les enjeux. On le sent cependant se moquer de tous les Mirage de ce monde avec encore plus d'impact que l'immense succès de Ricardo Trogi, ce qui fait un bien fou. De drame psychologique, l'ensemble verse lentement mais sûrement vers le thriller. Rien n'y est très crédible (on n'est jamais trop loin d'un dérivé de Ma fille, mon ange) et ce n'est pas plus grave. On s'y distrait par le ton et les événements exagérés qui surviennent comme on savoure une efficace série B. Surtout que l'effort se termine par une finale troublante et réussie, fortement inspirée des opus de Park Chan-wook (Oldboy et Lady Vengeance).
Tour à tour maladroite et remplie de promesses, inégale et amusante, La chasse au collet est une production indépendante qui n'est pas dénuée d'intérêt. Entre le traditionnel clivage qui oppose cinéma commercial et septième art d'auteur, il fait du bien d'avoir une troisième voie qui ne se prend pas nécessairement au sérieux.