Une décennie après la sortie de Bienvenue chez les Ch'tis, un des films français les plus courus de tous les temps, Dany Boon remet ça avec La Ch'tite famille, un autre immense succès qui a déjà dépassé les 5,7 millions d'entrées en France.
Il ne s'agit toutefois pas d'une suite, mais d'une histoire originale. Ayant fabulé sur ses origines modestes afin d'établir sa carrière, un populaire designer (Boon) doit affronter ses mensonges. Surtout qu'un accident lui a rendu son identité ch'ti, au grand dam de son amoureuse, mais pas de sa propre famille qui n'a pas vue depuis des lunes.
Les malaises sont nombreux devant ce long métrage qui confronte - air connu - la méchante ville snob et superficielle aux gentils habitants authentiques. Une dualité provinciale qui élève le mépris social à un rang inégalé. Pourquoi est-ce que la famille délaissée doit automatiquement ressembler à des gueux sans classe et sans manière? On aurait fait la même chose au Québec qu'on aurait taxé la production de tous les noms (pensons seulement à Super Troopers 2). Jouer des clichés et des stéréotypes est une chose, le faire avec doigté et respect en est une autre. La caricature est tellement appuyée qu'on a tôt fait de décrocher.
Si seulement le film était cocasse, on lui aurait sans doute pardonné ses défauts. Or, c'est rarement le cas. L'humour tient à 85 % sur le dos de gags linguistiques, à cette façon si particulière et colorée des gens du Nord de parler. Encore là, on joue le jeu des différences avec ces poissons hors de l'eau qui doivent interagir à l'extérieur de leur milieu. L'orthophoniste, les imbroglios vocaux, les jeux de mots élémentaires (mélanger « sa muse » avec « s'amuse ») : tout y passe pendant 1h45 minutes. Les comédiens d'expérience que sont Line Renaud, Valérie Bonneton et Guy Lecluyse s'acquittent honorablement de la tâche même si les accents en place varient grandement. Quelle tristesse, toutefois, d'avoir fait appel au grand Pierre Richard pour le voir saboter son talent dans des scènes qui ne servent absolument à rien.
Le récit devient intéressant lorsqu'il se concentre sur le héros, campé sobrement par Dany Boon. C'est là qu'on a enfin accès à une partie de son humanité. La chimie romantique développée avec Laurence Arné qui interprète sa compagne est également louable, ayant précédemment fait ses preuves sur Radin!. L'espace de quelques moments, on entrevoit la fine oeuvre sur l'identité, la culture et les secrets de famille que cela aurait pu donner.
C'était avant qu'un script surchargé et qu'une mise en scène décorative amènent le propos vers la facilité. Déjà qu'il faille se forcer pour sourire (même après 10 fois, tomber d'une chaise à trois pieds ne devient pas soudainement drôle), l'entrée vers le drame se fait toujours avec la même mélodie mièvre. C'est en entendant ces quelques notes de piano qu'on est censé être ému? Même le chien de Pavlov ne salivait pas aussi rapidement. Seul le propos moralisateur change, provenant généralement d'une fillette qui déclare sur le ton le moins naturel du monde un poncif du genre «Vous les grands, vous connaissez trop la vie...». Au moins, on peut compter sur une agréable finale enchantée et un générique plein de bloopers, comme dans les efforts de Jackie Chan des années 90.
Il y a dix ans, on riait à gorge déployée devant Bienvenue chez les Ch'tis, qui trouvait sans cesse l'angle approprié pour se moquer des travers de ses savoureux personnages. Le temps a bien changé et les récents échecs de Boon - Rien à déclarer, Supercondriaque, Raid dingue - pèsent lourd dans la balance, semblant avoir affecté la confiance du scénariste à pondre des dialogues forts, des situations irrésistibles. Autant on apprécie énormément les bons films à vocation populaire (« le cinéma pour les spectateurs », comme répète souvent l'acteur en entrevue), autant La Ch'tite famille ne remplit pas adéquatement sa mission. Surtout à côté de comédies grand public comme Le sens de la fête et La famille Bélier qui, sans être parfaites, mettaient instantanément de bonne humeur en faisant confiance à l'intelligence des cinéphiles.