Les cinéphiles québécois aiment particulièrement les drames historiques - le box-office est d'ailleurs là pour le prouver - et lorsqu'il est en plus question d'un personnage célèbre issu de notre bagage culturel, ils sont aux anges. La Bolduc est une femme importante au sein de notre histoire québécoise. Au contraire des films sur Gerry Boulet ou Dédé Fortin, qui s'adressait davantage à une jeune génération de mélomanes, le long métrage sur La Bolduc interpelle un public plus large, dont les gens plus âgés, qui ont vécu les années 30 et 40, là où Mary Travers a connu un succès épatant sur la scène culturelle.
Grâce à une réalisation à la fois sage et obstinée, François Bouvier arrive également à s'adresser aux plus jeunes, qui, loin d'avoir connu La Bolduc de son vivant, n'ont aucune idée de son rôle de catalyseur dans la société québécoise. Le réalisateur et les scénaristes (Frédéric Ouellet, Benjamin Alix) arrivent d'ailleurs excessivement bien à dépeindre cette intervention - involontaire, mais pourtant essentielle - de Mary Travers au sein de notre structure sociale québécoise. En plein coeur du mouvement #moiaussi, les jeunes femmes, qui ont toujours eu un compte de banque, le droit de voter et de s'épanouir dans une carrière qu'elles ont choisie - ne peuvent qu'être choquée de constater le rôle de subalterne qui était réservé aux femmes de cette époque. Les choix de Mary Travers s'avèrent à la fois arrogants pour l'époque et très raisonnables, si l'on considère qu'elle a décidé de travailler pour subvenir aux besoins financiers de sa famille.
Debbie Lynch-White dépeint avec une justesse implacable cette femme influente et déterminée. La comédienne arrive à nous faire comprendre aisément les débats moraux qui habitaient La Bolduc. Elle n'avait aucunement l'intention d'être comme Thérèse Casgrain et de faire changer l'opinion publique, mais elle est devenue, malgré elle, un modèle d'affranchissement pour les femmes du Québec. L'actrice transmet l'émotion de façon vibrante. Sa voix est juste, tout comme ses mouvements de violoniste et sa turlutte, évidemment. Il faut dire aussi qu'Émile Proulx-Cloutier est hypnotisant dans le rôle de l'époux dominant. L'acteur est parvenu à apporter à son alter ego une nuance essentielle. Édouard Bolduc n'est pas que le bourreau, au contraire. C'est un homme de son temps, qui n'acceptait pas d'être discrédité et humilié par ceux qui croyaient que le rôle de l'homme devait être celui de pourvoyeur.
La reconstitution historique s'avère également l'une des réussites majeures de la production. Dès les premières minutes, nous faisons un important voyage dans le temps. Rien n'a été laissé au hasard : décors, costumes, expressions langagières. Tout nous replonge dans un Québec rigide en Grande Dépression. La sévérité et la froideur de l'oeuvre nous apparaissent d'ailleurs comme l'une des faiblesses du film. On aurait espéré un peu plus de lumière à certains moments, un peu plus de caractère et d'originalité. La déflation finit par nous affecter jusque dans notre appréciation de l'oeuvre.
Il faut dire que certaines séquences sont particulièrement marquantes. On se rappellera longtemps de l'attitude exaspérée de l'agent de La Bolduc (joué par un Serge Postigo au sommet de sa forme) qui lui exige de ne pas rater cette dernière prise puisqu'il n'a plus de disques sur lesquels l'enregistrer ensuite. Impossible de ne pas faire des liens avec nos systèmes d'enregistrement numérique qui nous permettent de reprendre autant de fois que voulu...
En plus de nous rappeler le parcours atypique et courageux de Madame Bolduc, le film La Bolduc nous fait faire un voyage dans le temps salutaire. Pour comprendre où on s'en va, il est parfois sain de regarder d'où l'on vient et ce drame biographique de François Bouvier nous permet ce retour en arrière nécessaire, malgré un classicisme parfois étouffant.