Le moins qu'on puisse dire, c'est que Bertrand Bonello ne se l'est pas donné facile pour son onzième long-métrage, La Bête, libre adaptation de La Bête dans la jungle d'Henry James. À cheval sur trois époques, entre le passé, le présent et un futur récent, ce mélo aux accents métaphysiques risque de donner du fil à retordre au spectateur rompu à des scénarios plus linéaires.
En continuité avec l'affiche promotionnelle, où son visage apparaît en gros plan, Léa Seydoux est de toutes les scènes de ce film, coproduit par le duo québécois Xavier Dolan et Nancy Grant. Son personnage, Gabrielle, a de quoi s'occuper, passant de l'année 2044 au Paris du début du siècle dernier, avant de revenir à notre époque, avec comme dénominateur commun, encore et toujours, ce bel amoureux dont elle s'est entichée, Louis (George MacKay, révélé dans 1917 de Sam Mendes).
Ces allers-retours dans des vies antérieures sont rendus possibles grâce à un programme d'intelligence artificielle. Avec, à la clé, la promesse pour Gabrielle d'être nettoyée des traumatismes qui polluent son inconscient, mais non de cette idée persistante chez elle d'une catastrophe à venir.
Dans le Paris de la Belle Époque, musicienne accomplie et mariée, la jeune femme solitaire et de peu de mots apprend à résister aux charmes de Louis. Dans le Los Angeles contemporain, cette même flamme devenu un incel (célibataire involontaire) hargneux lui rendra visite pour la confronter à ses pires angoisses.
Dans ce film à l'approche dystopique, rappelant sur le fond Quelque part dans le temps (Jeannot Szwarc, 1980), les temporalités s'imbriquent les unes dans les autres de façon plus ou moins réussie. Les scènes dans les salons aristocratiques du Paris de 1910, alors frappée par une inondation majeure de la Seine, s'avèrent empesées et prétexte à une séquence à l'issue tragique qui laisse perplexe. Le dernier acte, sans doute le meilleur, fait pour sa part écho de façon intéressante à David Lynch, version Lost Highway et Mulholland Drive, avec une Gabrielle plus seule que jamais, gardienne d'une luxueuse demeure prise d'assaut par son amoureux temporel devenu un mystérieux étranger.
Cette bête, tapie dans le noir et toujours prête à bondir, emprunte plusieurs symboliques, à la fois pour la protagoniste et pour l'avenir de l'humanité, à commencer par la montée de l'intelligence artificielle, dont personne ne mesure encore ses impacts à venir sur nos vies. En cela, le film de Bonello incite la réflexion.
D'une durée de près de 2 h 30, La Bête, qui donne dans l'exercice de style, aurait certainement bénéficié de quelques coups de ciseaux au montage, histoire d'éviter que le scénario ne s'égare dans des circonvolutions déjà passablement nombreuses.