Maniant merveilleusement - comme cela est son habitude - la mélancolie, le lyrisme et le romantisme, Christophe Honoré offre avec ce film d'adolescent (c'est-à-dire excessif mais tellement passionné) une chronique d'amour actuelle, optimiste et pessimiste à la fois, qui atteint à certains moments un état de grâce et d'abandon semblable à celui de ses Chansons d'amour. Partager avec une si juste sensibilité une nostalgie de ce qui a été et qui ne sera plus, de même que de ce qui n'a jamais été, relève de l'exploit et peu de créateurs actuels peuvent véritablement le saisir. La matière première, les jeunes comédiens, est ici un gage de qualité.
Junie doit changer de lycée en cours d'année. En plein XVIe arrondissement de Paris, la jeune fille, courtisée par les garçons, choisit de sortir avec Otto, un jeune homme tranquille et peu sûr de lui. Mais bien vite, une brûlante passion naît entre l'étudiante et son professeur d'italien Nemours, charmeur notoire épris d'amour pour Junie. Mais cette dernière refuse de se laisser aller à une futile démonstration d'amour éphémère, préférant éviter de faire du mal à Otto.
De par sa manière méticuleuse de filmer rappelant presque Garrel (l'autre, Philippe) - d'abord en créant un « univers » de quartier, semblable à une scène de théâtre, pour ses personnages - Honoré s'assure que ces adolescents qu'il filme ne quitteront pas le registre de la réalité, sans pourtant y être nécessairement confinés. Ils sont tous magnifiques, trop beaux pour être crédibles, mais cela importe peu puisque c'est ce qu'on ressent est bien réel, qu'on ait 16 ans ou plus depuis un certain temps. Les resserrements du coeur qu'ils vivent sont partagés au public par les jeunes comédiens et leur langage impossible (« Je voulais te dire que j'ai une activité sexuelle avec ton cousin. ») et leur vie de Parisiens.
Avec ses cheveux noirs comme un mauvais présage et ses yeux d'océan, la jeune première Léa Seydoux resserre progressivement son jeu pour s'épanouir complètement dans la deuxième partie du film, qui transcende le stade d'observation de la première partie. C'est d'ailleurs dans cette deuxième partie qu'on se dénude un peu, qu'on avoue tout et qu'on s'enfuit. Pas qu'il y avait vraiment d'autre dénouement possible qui ne soit pas de la pure guimauve. L'amour plus fort que tout, au cinéma, est galvaudé, mais lorsque les personnages sont humbles, pleins d'espoir mais réalistes, il n'y rien de plus beau. Et ce, même s'il faut admettre que le scénario de La belle personne aurait pu être légèrement resserré, disons plus rythmé, et que le film ne s'en serait que mieux tiré. Un film qui, visuellement, n'a rien, mais rien, du téléfilm. Le gros plan est utilisé sciemment pour montrer autant de portraits qu'il y a d'individus et la caméra d'Honoré est d'une grande efficacité.
Des individus en apprentissage, donc fragiles, sans que cela ne signifie qu'on doive les protéger outre-mesure. Une fragilité dont on doute à haute voix, un état du coeur et de l'âme auquel certains adolescents sont immunisés, d'autres pas. Honoré lie ici, grâce au cinéma, toutes les poésies; celle de la voix de Callas, d'Elle était si jolie, de poèmes italiens, d'une sublime et tragique chanson d'Alex Beaupain et, bien sûr, la poésie de l'image. Il y ajoute la poésie de l'innocence, si rare et si précieuse, que certains ne connaissent jamais. Il faut bien que jeunesse se fasse.