Une grande performance d'acteur peut-elle sauver un film ordinaire? C'est le dilemme qui hante The Whale de Darren Aronofsky.
Ce comédien en état de grâce, c'est Brendan Fraser, absent des écrans depuis trop longtemps. L'interprète qui a construit sa carrière sur des divertissements devenus cultes comme Encino Man, George of the Jungle et The Mummy a déjà prouvé qu'il savait jouer (notamment dans Gods and Monsters et The Quiet American), mais jamais à ce point.
Il trouve le plus grand rôle de sa carrière dans la peau d'un professeur d'anglais malade et reclus chez lui à cause de l'obésité morbide. Son jeu sensible et touchant va droit au coeur tant il est habité et nuancé. Emprisonné d'un corps qui a pris de l'extension à l'aide de maquillages sidérants, l'acteur est d'une vulnérabilité rarement vue. En voila un qui part favori à la prochaine cérémonie des Oscars.
Dommage que le reste du long métrage ne fasse pas le poids. Écrit par Samuel D. Hunter qui adapte sa propre pièce de théâtre, le scénario est d'une lourdeur abyssale. Le moindre des enjeux, des sentiments et des intentions de cette fable morale sont surlignés au crayon gras. Les métaphores plombent régulièrement le récit tant elles sont abondantes, autant toutes les connotations bibliques que celles au Moby Dick de Melville.
Surtout que personne n'arrive à tenir tête au héros torturé. Les personnages sont réduits à l'état de symboles. C'est le cas de l'amie qui le soigne (Hong Chau), ce jeune homme qui cherche à l'évangéliser (Ty Simpkins), son ancienne femme amère et cynique (Samantha Morton) et sa fille adolescente qui a mal tourné (Sadie Sink). C'est surprenant que dans de telles circonstances, toute la distribution livre la marchandise. Et que la finale, extrêmement manipulatrice, soit aussi puissante, faisant son plein d'émotions.
Pourtant, l'éternel combat entre la lumière (le monde est beau, on peut aider les gens) et la noirceur (à peu près tout le reste de ce film sombre et désabusé) n'opère jamais correctement. La quête de rédemption est plombée par un discours ambigu sur la condition du protagoniste, tirant l'effort vers la grossophobie. Tout ce que voulait justement éviter ce professeur empathique.
Afin d'exprimer son enfermement, le ratio de l'écran est réduit à un cadre carré. Une sensation de claustrophobie émane rapidement de ce huis clos qui ne fait jamais oublier sa source théâtrale malgré une caméra alerte et une mise en scène entièrement dévouée à son personnage principal.
Fidèle à ses habitudes, le réalisateur Darren Aronofsky (Black Swan, Requiem for a Dream) propose un essai provocant et polarisant, explorant ses thèmes de prédilection - relations houleuses entre parents et enfants, addiction, culpabilité - au détour d'un exercice de style construit sur le même modèle que The Wrestler. Sauf que depuis Noah en 2014, son cinéma semble se chercher, se voulant beaucoup plus insistant et balourd. On pouvait pardonner les errances de Mother! tant le spectacle proposé était hallucinant. Mais moins celles de The Whale, beaucoup plus formatées, qui malgré quelques moments foudroyants, affiche rapidement ses limites. Sans la présence inoubliable de Brendan Fraser, est-ce que cette production ferait autant de bruit? Poser la question, c'est y répondre.
Décidément, 2022 aura été terrible envers ses grands cinéastes comme Alejandro Gonzalez Inarritu, Sam Mendes, Damien Chazelle et maintenant Darren Aronofsky, qui ont tous perdu de leur superbe.