Qu'est-ce qui est le plus important dans un film? Son sujet ou son traitement? Cette question légitime se pose devant Bones of Crows.
L'ambitieux long métrage de la réalisatrice Métis Marie Clements aborde des thèmes primordiaux trop souvent négligés par l'Histoire et le cinéma. Il est question du sort réservé à la population autochtone par le Canada. De ses relations souvent cauchemardesques depuis des décennies aux répercussions qui s'en résultent. Retirée de ses parents, Aline s'est retrouvée dans un pensionnat. Un traumatisme qui allait la marquer irrémédiablement, elle et les générations qui suivront.
Voilà un aspect sombre de notre pays qu'il fallait absolument aborder. Le résultat laisse toutefois dubitatif tant le propos, lourd et didactique, est constamment surligné, paraissant manichéen, manipulateur et moralisateur à ses heures. Un désir constant de faire réagir - par la rage, la tristesse, l'incompréhension ou l'indignité - qui n'obtient pas nécessairement le résultat escompté.
L'effort démarre pourtant sur des chapeaux de roues. La magnifique introduction en noir et blanc épouse la forme du western et elle pose les jalons d'une oeuvre complexe et essentielle... qui ne se matérialisera jamais complètement malgré quelques flashs fascinants.
C'est sans doute la faute du scénario extrêmement chargé qui tente de résumer plusieurs décennies en 124 minutes. La production aurait pris la forme d'une série (ce qu'elle est originalement, en cinq épisodes d'une heure) qu'elle aurait été plus cohérente. Cela aurait permis de mieux comprendre les différentes ramifications et d'aller réellement en profondeur. Par exemple, on n'aborde que trop brièvement l'apport méconnu des nations autochtones pendant la Seconde Guerre mondiale.
L'ensemble paraît également confus dans ces incessants retours dans le temps. Des ellipses exprimant les traumas qui reviennent hanter périodiquement les personnages, les empêchant de fonctionner correctement. Un procédé qui devient vite mécanique et lassant, car beaucoup trop répétitif.
C'est lorsqu'il met de côté ses aspects narratifs que le film est le plus intéressant. Quand le récit s'arrête finalement pour laisser toute la place au peuple autochtone qui peut s'exprimer avec sa langue et sa culture, ses corps qui dansent et qui ne font qu'un avec la nature. Des moments lyriques et poétiques qui rappellent l'art de Terrence Malick.
Ces instants de grâce contrastent avec le reste de la mise en scène, beaucoup plus sage et conventionnelle, de type téléfilm ou Minutes du patrimoine, même si un certain soin esthétique a été apporté à la lumière.
Loin de se laisser enfermer par cette démonstration appuyée, l'interprétation s'avère sentie. C'est le cas de Grace Dove en héroïne affligée qui tente de demeurer résiliente malgré l'adversité. La comédienne module aisément son jeu, même si elle est plus à l'aise dans le registre dramatique que romantique. Rémy Girard et Karine Vanase campent des religieux qui feront vivre l'horreur à leurs protégés. Des personnages unidimensionnels élevés par des acteurs d'exception.
C'est à se demander si Bones of Crows n'aurait pas été mieux servi par le biais du documentaire. C'est seulement lors du générique final, lorsque les véritables victimes apparaissent à l'écran, qu'une émotion sincère en émane. En cette période de réconciliation, un devoir de mémoire s'imposait. Dommage que le film qui en découle ne soit pas toujours à la hauteur.