Il faut être un peu gonflé pour intituler son film L'odyssée. C'est le classique d'Homère qui fait écho à ce titre légendaire, les aventures incroyables de mortels exceptionnels et d'innombrables tragédies familiales. Une allusion aux mythes pour un long métrage qui est loin d'être touché par les dieux.
Il y avait pourtant matière à s'élever vers le divin. C'est tout de même l'illustre Jacques-Yves Cousteau (Lambert Wilson) qui est au coeur des tourmentes, de ses péripéties sous la mer à ses relations orageuses avec son épouse (Audrey Tautou) et son fils Philippe (Pierre Niney). Des combats ravageurs qui donnent parfois naissance à des échanges cinglants et acrimonieux.
Ils sont cependant trop rares et espacés au sein de cette production qui fait peu de vagues. La machine bien huilée se contente de reproduire le schéma du biopic éprouvé. C'est peut-être compétent au niveau technique, mais ronflant sur le plan scénaristique. Le filon riche en pépites potentielles - le rôle du cinéma, les liens à tisser avec le célèbre capitaine Nemo - n'est jamais véritablement exploré. On est plutôt happé par un océan de conventions et de symboles (les lunettes d'aviation!), des dialogues élémentaires, des séquences redondantes et une finale poussive sur la nécessité de protéger l'environnement.
La conclusion survient alors que le héros n'a pas véritablement eu une évolution conséquente. Résumer 30 ans en deux heures est toujours ardu et les personnages ont tendance à devenir de simples esquisses. C'est malheureux pour Lambert Wilson qui se défend très bien dans le rôle principal, passant du charismatique père à un être dévoré par son ego. Il se transforme d'ailleurs en Cronos, ne faisant qu'une bouchée de Pierre Niney, qui est souvent fade à moins d'être bien dirigé (notamment dans l'excellent Frantz). Beaucoup plus maîtrisée est la prestation d'Audrey Tautou, que l'on voit malheureusement peu au cinéma (l'exquis Microbe et Gasoil de Michel Gondry n'est jamais sorti au Québec) et qui prend une maturité folle en vieillissant. Les métaphores qui se développent entre elle et le bateau Calypso offrent quelques-uns des meilleurs moments de l'ouvrage. Évidemment, il faut croire en ce couple, surtout que les maquillages pour exprimer le passage du temps ne sont pas toujours réussis.
Le cinéaste Jérôme Salle porte cette histoire en lui depuis si longtemps qu'il a décidé de participer au scénario, qui est adapté d'un livre. C'est cependant étrange que sa vision manque autant de souffle épique et d'intensité dramatique, réduisant trop souvent les émotions à néant. Ce spécialiste des suspenses à l'américaine (Anthony Zimmer, les deux Largo Winch, Zulu) n'incarne pas suffisamment sa mise en scène lorsque les dialogues prennent le pas. On le sent cependant en pleine possession de ses moyens lors d'impressionnantes plongées sous l'eau. Les prises de vues sont sidérantes et poétiques à la fois, utilisant les images, le son (judicieusement récompensé aux César) et la majestueuse musique d'Alexandre Desplat pour créer quelque chose d'infiniment plus beau et puissant. On l'imagine déjà à la barre d'un documentaire muet IMAX sur les fonds marins.
Il est ironique que pour cerner de façon plus satisfaisante ce personnage hors du commun, il vaille mieux se tourner vers le cocasse The Life Aquatic with Steve Zissou de Wes Anderson qui s'en inspirait de très loin, que vers ce portrait plus global et ultimement superficiel. Le commandant Cousteau a toujours voulu découvrir l'inconnu et c'est d'autant plus surprenant et insultant de le voir au sein d'un film aussi convenu et déjà-vu. Son périple est trop fascinant pour qu'il n'en soit qu'ainsi.