Cette histoire quasi-tragique d'un magicien dépassé par les innovations de son époque, imaginée par Jacques Tati et mise en image par Sylvain Chomet, a tous les airs d'un cri du coeur en faveur du respect des traditions. Le refus des dialogues - pour ne prendre que cet exemple - est ici une béquille anachronique pour un film qui paraît en 2010 (ou en 2011). Il serait faux de croire que le respect et la solennité que l'on a gardés sont au service de l'oeuvre de Tati; en la plaçant ainsi dans une époque où à peu près tout est différent, de la manière de faire aux attentes, on la rend anachronique, dépassée, sans l'intérêt historiographique qui rend utile l'étude (académique) des films de Tati. Lui qui faisait du cinéma, faut-il le rappeler, dans les années 50.
Parce que le public ne s'intéresse plus à ses tours de magie, Tatischeff, un illusionniste de Paris, doit partir en tournée dans les petits pubs d'Écosse. C'est là qu'il fait la rencontre d'Alice, une fillette rêveuse qui décide de partir avec lui, de bar en bar, de spectacle en spectacle. Mais les affaires vont mal pour le magicien, qui se ruine d'autant plus à offrir des cadeaux à la jeune fille.
La lourde métaphore du magicien sans public obligé de faire de la réclame pour vivre (comme le cinéaste attaché à ses traditions est, lui aussi, sans public, et parfois forcé de faire de la pub) s'avère particulièrement mièvre dans l'univers pluvieux de L'illusionniste. Et le discours sur les goûts changeants d'un public impossible à saisir (si on savait ce qui lui plaît à tout coup, on s'ennuierait vite) à travers l'illustration peu empathique de l'émergence des vedettes rock; voilà autant d'éléments qui ancrent le film de Chomet dans une mélancolie vide d'émotion. Le lassant jeu de mime auquel on est ici confronté, en plus d'être répétitif, n'a que peu de moments inspirés, tout comme les anodines références à une époque révolue. La nostalgie est ici trop lourde à porter, dans une sorte d'indifférence générale.
Tout dans L'illusionniste devient si prévisible, si convenu, qu'on ne risque pas de s'émerveiller, pas même - en fait, surtout pas - d'un lapin sortant d'un chapeau. Bien sûr, le dessin est magnifique, l'animation fluide et les décors souvent lumineux, dans un souci du détail qui fait la renommée de Sylvain Chomet. Mais le cinéma d'animation, cela n'a jamais été une question de qualité du dessin, qui est ici lourdement nostalgique et résolument « traditionnel ».
C'est en plaçant L'illusionniste sous le signe de l'hommage que l'on peut y trouver une émouvante fable sur le temps qui passe, les choses qui changent, mais il faut y être entièrement consacré. Le cinéma est une affaire de passion, et il y en a peu, dans ce film-ci, sinon un respect trop courtois d'un passé duquel on peut s'inspirer, mais qu'il est inutile de copier. L'illusionniste plaira à ceux qui croient qu'aucun film ne pourra jamais détrôner les grands classiques de D.W. Griffith, de John Ford ou d'Orson Welles au panthéon du cinéma. Je ne fais pas partie de ces gens-là.