Ce sont généralement grâce aux franchises que les studios font de l'argent. Alors que Disney peut compter sur Marvel et Star Wars devant son compétiteur Warner qui tente de rivaliser en misant sur DC Comics et la rencontre prochaine entre King Kong et Godzilla, Universal ne voulait pas rester seul dans son coin avec les Fast & Furious, fantasmant à développer des univers de monstres qui réuniraient Frankenstein, Dr. Jekyll et Mr. Hyde ainsi que le fameux Loup-garou. Sauf que devant l'échec retentissant du misérable The Mummy en 2017, le studio s'est ravisé. The Invisible Man n'allait pas être relié à ce monde obscur, agissant plutôt comme un épisode individuel. Sage idée... surtout qu'on aurait eu Johnny Depp dans le rôle titre!
Au lieu de ça, le scénario de ce reboot inverse la matière première du classique de H.G. Wells, s'intéressant plutôt au destin malheureux d'une femme (Elisabeth Moss) fragile émotionnellement qui semble halluciner un méchant homme invisible. Est-ce le cas ou seulement le fruit de son imagination? Voilà une question éternelle qui pimente le long métrage horrifique depuis ses premiers balbutiements. Encore dernièrement, elle était au coeur de productions très oubliables comme The Turning et The Grudge. Ce qu'il est agréable de jouer avec les doutes des spectateurs, de s'amuser à leurs dépens!
Cette matière première digne des meilleures séries B (pensons ici à Unsane de Steven Soderbergh) se voit gratifiée d'une fulgurante rencontre avec le réel. L'héroïne cherche à fuir un ancien amoureux violent qui revient constamment la hanter, de corps ou d'esprit. Il s'agit d'une victime qui tente de reprendre confiance en ses moyens afin de s'affranchir de ses traumatismes. L'homme invisible agissant ainsi comme ce passé omniprésent, prêt à la replonger dans le cycle de la peur. Surtout qu'il la manipule allègrement, usant du détournement cognitif - comme dans le récent The Lodge - afin de jouer dans sa tête. Une métaphore puissante qui résonne fort à l'ère du #MeToo, ajoutant une couche supplémentaire au simple récit d'épouvante.
Pour que tout cela soit crédible, il fallait une actrice à la hauteur. Cela tombe bien, l'excellente Elisabeth Moss est de presque tous les plans. La comédienne qui s'est forgée une réputation plus qu'enviable à la télévision n'a jamais vraiment pu prouver sa valeur au cinéma. Jusqu'en 2019, apparaissant au sein du jubilatoire Us tout en livrant la performance de sa vie dans Her Smell, qui aurait d'ailleurs dû lui valoir au moins une nomination aux Oscars. Elle représente l'âme de ce projet, sa force vitale. Même lorsque l'histoire ne fait plus aucun sens et que la finale déçoit, on pourra toujours compter sur sa présence.
Créateur des Saw et autres Insidious, le cinéaste Leigh Whannell s'y connaît en la matière. Il a toutefois dû s'éloigner du genre qui fait frissonner en plongeant tête première dans la satisfaisante science-fiction de Upgrade - une variation d'Ex Machina qui serait croisée avec RoboCop et Blade Runner - pour mieux y revenir. C'est ce qu'il avait besoin pour réinventer le film de «fantôme ». Celui où la terreur est constante - qui sait s'il n'y a pas un vilain qui va apparaître brusquement - et qui ne donne pas sa place non plus lorsque l'action mène le bal. Un travail divertissant à souhait, bien que le résultat traîne parfois en longueur.
En 2000, Paul Verhoeven reprenait ce mythe avec Kevin Bacon en offrant une version psychotronique, teintée de sexe et d'amoralité. Deux décennies plus tard, les choses ont bien changées et il s'agit d'une oeuvre chargée en émotions fortes où une femme fera l'impossible pour se libérer de la masculinité toxique qui l'entoure. Après The Assistant qui donnait la chair de poule, il s'agit d'un autre reflet implacable de son époque, imparfait mais ô combien terrifiant.