Qui eut cru un jour que le grand cinéaste Ang Lee allait diriger Will Smith dans une production de Jerry Bruckheimer? Le film s'appelle Gemini Man et il est indigne du talent du trio en place.
Il s'agit d'une idée qui dort dans les tiroirs des studios hollywoodiens depuis plus de deux décennies. Une histoire assez originale où un tireur expérimenté doit affronter son propre clone plus jeune que lui. Une sorte de Looper sans le voyage dans le temps. Il n'en fallait pas plus pour attirer l'attention des plus grandes vedettes, que ce soit Harrison Ford, Mel Gibson, Clint Eastwood, Arnold Schwarzenegger, Sylvester Stallone, Sean Connery et Nicolas Cage. Mais la technologie beaucoup trop onéreuse n'était pas prête.
Jusqu'à aujourd'hui. Déjà The Curious Case of Benjamin Button faisait rajeunir Brad Pitt. Jeff Bridges se battait contre sa propre version de lui dans Tron: Legacy, et le cinéphile attend avec impatience The Irishman de Martin Scorsese afin de voir Joe Pesci, Al Pacino et Robert De Niro perdre leurs rides. Impressionnants sans être totalement satisfaisants (il y a trop de séquences nocturnes qui diluent le plaisir), les effets spéciaux en mettent ici plein la vue, devenant la raison même de l'existence du projet. Dommage que la version présentée à la presse était dans un cinéma régulier. Parce que le long métrage a été conçu en trois dimensions, avec un ratio hyper réaliste de 120 images par seconde. Qui sait l'impact que cela aurait eu...
Remis sur la carte de la respectabilité grâce au récent Aladdin, le charismatique Will Smith fait ce qu'il sait de mieux: courir, éviter les obstacles et contre-attaquer. Un peu plus et on se croirait replonger dans la belle époque de Enemy of the State et le premier Bad Boys. Il semble bien s'amuser à tenir tête à son doppelgänger, étant plus crédible qu'avec son propre fils (insérez ici un mauvais souvenir de After Earth). Son personnage mal dessiné tient toutefois le spectateur à l'écart. C'est le cas d'ailleurs de toutes les âmes qui apparaissent à l'écran, que ce soit Mary Elizabeth Winstead (impossible de croire à sa romance avec le héros), Clive Owen (le méchant cliché) et Benedict Wong (l'acolyte typé qui apporte l'humour).
Fidèle à ses habitudes, le «style» Bruckheimer s'exprime lors de scènes d'action musclées et souvent spectaculaires, plus lisibles et moins mouvementées que d'habitude. Cela donne quelques morceaux de bravoure et une étonnante poursuite en moto, mais également des moments inutilement exagérés et d'autres qui tirent vers le jeu vidéo. Le récit verbeux et le rythme plus relâché pourront surprendre l'amateur du genre. Faut-il se rappeler qu'il s'agit d'Ang Lee derrière la caméra, qui s'y connaît en la matière avec son éblouissnt Tigre et dragon et son mésestimé Hulk. On le sent cependant moins à l'aise à imprégner son aura unique. Après le raté Billy Lynn's Long Halftime Walk, il s'agit de son second projet consécutif à manquer de poésie et à mordre la poussière.
Peut-être était-il tout simplement dépassé par la pauvreté des dialogues et le scénario écrit à six mains. Normalement, cela aurait été un effort existentiel dans la lignée de Gattaca. Une quête d'humanité chez un individu fantôme qui doit prouver qu'il existe en réanimant et en se confrontant à sa part de conscience intérieure. Bien qu'il s'agisse de clones et pas de robots, les questions qui tenaillaient Asimov - notamment l'Homme qui joue à Dieu, le rapport de la création au monde qui l'entoure - y sont abordées, quoique trop timidement. Ce n'est donc pas surprenant d'y voir Smith, lui qui était la vedette de I, Robot. Sauf que le long métrage semble toujours posséder un devoir d'épater la galerie avec des combats et un faux suspense, ce qui finit par tuer l'oiseau dans l'oeuf.
Constamment à cheval entre son côté sérieux et sa face plus explosive et divertissante, Gemini Man ne convainc ni d'un bord ni de l'autre. Une dualité défaillante, à l'image du reste du film. Il faudra alors le prendre uniquement comme un trip de technologies et une avancée des effets spéciaux, mais à condition de le voir dans les meilleures conditions possible.