Life of Pi de Yann Martel était probablement le livre le moins adaptable au cinéma. Pas que son histoire n'était pas digne du grand écran, au contraire, mais son déroulement en lieu clos (le 3/4 de l'oeuvre se passe sur une chaloupe au milieu du Pacifique), son aspect philosophique et métaphorique important ainsi que ses lieux fantasmagoriques (une île carnivore, une mer infestée de requins, de baleines et autres poissons atypiques) et ses protagonistes animaux difficilement reproductibles et manipulables (gorille, hyène, zèbre et, bien sûr, tigre), en faisaient un défi de taille qui ne pouvait être assumé que par l'industrie hollywoodienne, et, bien sûr, un réalisateur visionnaire. Ang Lee a su prendre les commandes de ce projet périlleux avec audace et grand respect des écrits de l'auteur d'origine québécoise.
Pour réussir à faire comprendre au public les sensations qu'éprouve le protagoniste sur son embarcation de sauvetage, le cinéaste a décidé d'introduire une caméra en continuel mouvement, qui épouse la houle des vagues. Cet effet, très approprié dans la situation, peut par contre entraîner des nausées à certains spectateurs plus sensibles (comme moi), qui n'apprécieront peut-être pas autant la beauté spectaculaire des images. Parce que le visuel de ce film est vraiment impressionnant. Que ce soit des poissons volants multicolores, une baleine qui saute au-dessus du bateau, une oasis qui abrite un arsenal de mignons petits rongeurs et des séquences dans une Inde colorée et accueillante, le long métrage nous en offre toujours plus que ce qu'on attend de lui au niveau visuel.
Du point de vue de la narration, le film ne fait pas beaucoup d'erreurs non plus. On pourrait croire qu'un film qui introduit un protagoniste seul avec comme unique compagnon un tigre de Sibérie pourrait s'avérer longuet (quoi que Cast Away a prouvé le contraire), mais l'emboîtement de séquences du présent - mettant en scène l'auteur du livre et le survivant plusieurs années après le naufrage - et du passé - avant que la famille du personnage principal ne décide de prendre la mer -, imposent un rythme intéressant à l'oeuvre qui ne renferme que très peu de moments superflus.
Suraj Sharma livre une brillante performance dans le rôle principal, collant parfaitement à la description qu'en fait Martel dans son roman. Le film repose presque entièrement sur ses épaules puisque la plupart des autres personnages ne font que de brèves apparitions à l'écran. À noter tout de même la prestation honnête et attachante de Irrfan Khan sous les traits d'un Pi plus vieux, qui raconte son histoire extraordinaire à un écrivain très ouvert, joué par Rafe Spall.
Life of Pi, le bouquin comme le film, peuvent être considérés comme une ode à la liberté et à la détermination. Il y a évidemment en sous-texte un message plutôt pernicieux sur la race humaine et son instinct de survie, mais malgré le sous-entendu, le deuxième sens des mots et des images, Life of Pi reste principalement une parabole optimiste et inspirante sur l'existence humaine. Entre la vérité qui choque et qui blesse ou le mensonge doucereux et sans malice, vous choisissez quoi?