Avant, les couples qui ne s'aiment plus pouvaient rester ensemble par souci moral envers les enfants. Maintenant, ils demeurent sous le même toit parce qu'un des deux parents ne possède pas suffisamment d'argent pour se louer ou s'acheter quelque chose d'autre.
À quel prix se chiffre une séparation, autant sur le plan affectif que financier? C'est cette question complexe qui est abordée de front au sein du très aboutit L'économie du couple. Surtout lorsque c'est maman qui a financé l'achat de la demeure et qui paye les factures, pendant que papa a effectué toutes les réparations afin d'améliorer la valeur de revente de la maison.
Les coûts - et les coups psychologiques - sont au coeur du long métrage et on les ressent constamment. Ceux du bonheur et du malheur, de la dette et des sacrifices, des injustices, mais également ceux qui peuvent gangrener des gens de classes sociales différentes. Aucun des deux pôles familiaux n'est blanc ou noir et on prend périodiquement pour le père et pour la mère en comprenant que leur logique est parfois contestable, mais toujours très humaine.
En faisant répéter ses acteurs encore et encore afin de modeler le scénario et la mise en scène à leurs interactions, le cinéaste belge Joachim Lafosse a soutiré d'eux une vérité qui donne froid dans le dos. La justesse de ton est inouïe, tout comme ces dialogues plus vrais que nature. Rappelant parfois les créations d'Asghar Farhadi (surtout Une séparation et Le passé) et de Mike Nichols (principalement Who's Afraid of Virginia Woolf?), la dynamique du récit demeure dans les échanges du quotidien, alors qu'on ne quitte pratiquement jamais la maison. Le tout est enrichi par de longs plans qui laissent triompher le temps, l'ennui pour certains et la vie pour d'autres.
L'ensemble serait bien différent sans l'apport de ses excellents comédiens. Bérénice Bejo excelle dans des rôles sérieux et elle offre une nouvelle composition riche et subtile. Son partenaire de jeu Cédric Kahn est tout aussi magistral. Si on le connaît surtout comme réalisateur, les cinéphiles qui ont déjà vu le travail d'Elie Wajeman (Alyah, Les anarchistes) ou Tirez la langue, mademoiselle d'Axelle Ropert savent qu'il peut être un brillant interprète. Ce duo s'affronte, se séduit, se manipule et se déchire sans aucun filtre, prenant constamment soin des jumelles Jade et Margaux Soentjens qui campent leurs enfants. Une très jolie scène de danse agit d'ailleurs comme un baume afin d'atténuer la tension et les engueulades.
Rompu à un cinéma plus dérangeant avec Nue propriété, Élève libre et À perdre la raison qui demeure son oeuvre la plus puissante, Joachim Lafosse rachète son plus quelconque Les chevaliers blancs avec L'économie du couple en revenant à l'essence de ses obsessions : les relations parfois tordues et toxiques entre des gens qui se font écraser par leur entourage et par la routine de l'existence. Sans nécessairement transcender l'anecdote, le film prend d'assaut l'intime pour ébranler les certitudes. Beaucoup de couples risquent de s'y reconnaître.