Si Alfred Hitchcock et Jacques Demy faisaient un film ensemble, cela ressemblerait probablement à L'amour et les forêts, l'angoissant nouveau long métrage de Valérie Donzelli (La guerre est déclarée)
Cette adaptation du roman d'Éric Reinhardt décrit l'amour malheureux de Blanche Renard (Virginie Efira) envers Grégoire Lamoureux (Melvil Poupaud), un être charismatique qui se veut particulièrement jaloux, possessif et dangereux.
Ces sujets forts (le mécanisme de l'emprise et les relations de domination des hommes sur les femmes) résonnent particulièrement à une époque marquée par les féminicides. Le scénario de Donzelli et d'Audrey Diwan (L'événement) n'occulte aucun détail, dévoilant avec minutie tous les pièges en place, où la séduction finit par se transformer en manipulation. Malgré quelques élans plus démonstrateurs et certains retournements de situations moins crédibles, l'ensemble happe de plein fouet et fait réagir. Le prédateur a pris son temps pour tisser sa toile d'araignée, et sa victime ne pourra en ressortir indemne.
Des débuts enchanteurs d'un romantisme exacerbé, le récit verse de plus en plus vers le drame, le mélo et le suspense. Avant d'embrasser une forme de thriller qui fait battre le coeur plus rapidement tant la menace s'avère vive. De quoi ravir les fans d'Alfred Hitchcock ou de Claude Chabrol, alors que les thématiques en place ne sont pas sans rappeler Rebecca et L'enfer.
Le réalisme pur n'est pourtant pas la tasse de thé de la cinéaste. Comme dans ses précédentes réalisations Marguerite et Julien, Main dans la main et La reine des pommes, le conte permet de voir autrement le réel. C'est le cas où l'héroïne revient transformée d'un détour en forêt, après une rencontre avec un inconnu (incarné par le chanteur Bertrand Belin) qui la change à jamais.
Puis il y a cette façon à la Jacques Demy d'exprimer ses sentiments par la chanson, en détournant un tube pour lui donner un sens nouveau. À ce chapitre, les choix musicaux ne déçoivent pas. Autant toutes les mélodies qui défilent à l'écran (ah, Barbara!) que la bande sonore de Gabriel Yared, qui joue davantage la carte de l'émotion que de la tension. Frissons garantis.
La mise en scène séduit également par son esthétisme élaboré au niveau des couleurs et des textures. L'image volontairement vieillotte évoque quelques classiques de la Nouvelle Vague (principalement ceux de Jean-Luc Godard), tandis que les ellipses brutales lorgnent vers le travail de Maurice Pialat. La caméra qui semble flotter apporte une sensualité qui est la bienvenue, et qui permet d'atténuer la lourdeur en place.
Incarnant à l'écran la protagoniste et sa soeur jumelle (une déclinaison dont l'utilité laisse à désirer), Virginie Efira trouve une nouvelle façon de se réinventer. La meilleure actrice du moment - comme en fait foi ses performances éblouissantes dans Rien à perdre, Les enfants des autres et autres Madeleine Collins - est impressionnante de vitalité et de vulnérabilité, s'investissant totalement dans ce personnage qui prend son destin en main avant qu'il ne soit trop tard.
Face à elle se dresse l'étonnant Melvil Poupaud, qui se fait une joie de transformer son paradis en cauchemar. L'interprète est utilisé à contre-emploi, et il est tout simplement monstrueux. D'excellentes comédiennes - comme Romane Bohringer, Virginie Ledoyen et Marie Rivière - se prêtent au jeu pour rappeler l'importance de la solidarité et de la sororité.
Valérie Donzelli signe avec L'amour et les forêts son meilleur film depuis La guerre est déclarée. Une oeuvre forte, douloureuse et maîtrisée qui, si elle se veut parfois trop psychologisante, se révèle importante et pleinement cinématographique. La force du dernier plan, qui laisse planer un avenir incertain, en hantera plus d'un.