La notion de « faits vécus », utilisée à des fins mercantiles par le cinéma depuis des décennies, mise sur une frontière entre la réalité et la fiction qu'il est facile d'oublier. C'est là toute son utilité, comme vecteur de plus grandes émotions (sous prétexte de véracité), donc de plus grand box-office. C'est un exercice fascinant de voir ce phénomène en marche : comme si, sachant que ce qu'il voit s'est réellement produit, le spectateur néglige les incongruités de cette réalité fabriquée qu'il voit : des acteurs, des costumes, des décors, un point de vue (la caméra) et un autre point de vue (le réalisateur), la musique, les effets de style (ralentis, etc.) et les torsions temporelles nécessaires pour raconter une histoire qui dure cinq (ou dix) ans en moins de 120 minutes.
Comme ce mécanisme est si pratique (et si efficace), bien peu de gens ont osé le souligner à même leurs films, sinon souvent dans l'anonymat. Les frères Coen (Fargo), et dans une moindre mesure Atonement de Joe Wright (qui posait au moins la question), en sont des exceptions notables. De même pour Rechercher Victor Pellerin. Ce qui nous amène, après ce long préambule inhabituel (désolé), à L'affaire Dumont, troisième long métrage de Podz, qui est « inspiré d'une histoire vraie », celle de Michel Dumont, faussement accusé de viol et condamné à la prison au début des années 90.
En plus d'être un drame compétent pouvant miser sur de bons acteurs - suis-je le seul à trouver que le jeu de Marc-André Grondin se raffine à chaque nouveau film? - voilà que L'affaire Dumont, à travers une audacieuse mise en abîme, permet de réfléchir sur le concept de « faits vécus » et ainsi de s'élever au-dessus du simple drame. Une simple intervention du réel (qu'on essaie de ne pas trop vous révéler, si vous n'aviez pas encore remarqué), elle-même apparemment mise en scène, vient en effet renverser le contexte et bousculer l'état - passif - du spectateur pour le rendre actif. Pour qu'il se pose des questions sur ce qu'il voit. Enfin. Enfin! C'est ce qui fait de L'affaire Dumont autre chose qu'un bon film ou un bon drame; voilà un film qui met le spectateur au défi de comprendre ce qu'il regarde.
Sans ce moment très précis du film, L'affaire Dumont serait quand même l'exercice d'artisans compétents et la mise en images d'un scénario audacieux qui mêle habilement les temporalités, mais il serait bien plus conventionnel. Les dialogues crédibles et la réalisation posée et minutieuse renforcent les émotions déjà présentes et évitent les pièges de l'invraisemblance; il faut une suite poussée de coïncidences qui défient souvent la logique pour que Michel Dumont soit condamné. C'est d'ailleurs l'aspect juridique (pourtant traité avec une déshumanisation nécessaire) qui fonctionne le moins bien - parce qu'il est si illogique - alors que l'aspect humain est plus fort, grâce à la complicité des deux personnages centraux.
Le travail de Podz s'inscrit dans la continuité de son oeuvre - télévisuelle ou cinématographique sans distinction - misant sur un fort souci du détail et une interprétation minimaliste. Marilyn Castonguay est particulièrement crédible et naturelle dans cet univers, mais tous les acteurs se tirent très bien d'affaire. Le long métrage propose donc un drame poignant en plus d'une réflexion qui démontre une conscience du cinéma qui est rafraîchissante et stimulante. Et qui rend L'affaire Dumont d'autant plus intéressant.