Le très joli film Kuessipan propose d'apprendre à vivre ensemble et d'entrer en relation avec l'Autre.
La trame narrative du second long métrage de Myriam Verreault qui est librement adapté d'un livre de Naomi Fontaine (qui a participé au scénario) aurait difficilement pu être plus classique. Il s'agit d'un récit d'initiation et d'apprentissage typique du cinéma québécois des dernières années (Jeune Juliette et compagnie), alors que deux adolescentes fusionnelles (Sharon Fontaine-Ishpatao et Yamie Grégoire) verront leur amitié mise à rude épreuve. C'est la joie et la peur des premières fois, la construction d'une identité à une période trouble et charnière de l'existence. Cela implique donc son lot de scènes un peu attendues, mais également de très belles séquences de danse.
Sa particularité est de camper l'action sur une réserve innue, en marge d'une majorité blanche. Le milieu parfois difficile oblige sa population à grandir plus vite, alors que l'importance de la famille et de la communauté vaut son pesant d'or dans la décision de rester ou de quitter. Une interrogation qui se retrouvait aussi au coeur du trop peu vu Mad Dog Labine. L'effort offre surtout de probantes pistes de réflexion sur les différences culturelles et le poids de l'Histoire, la fierté d'exister, d'occuper le territoire et de s'ouvrir. Dommage que cela passe parfois de manière plus convenue par un cours scolaire didactique - comme dans Une colonie - ou la récitation d'un texte sur la liberté qui manipule quelque peu l'émotion.
Plus intéressé à sortir des clichés qu'à verser dans le misérabilisme, l'ensemble alterne les moments de bonheur et ceux de malheur. En fait, la joie ne demeure jamais trop longtemps tant les tuiles s'abattent continuellement sur la tête de nos pauvres héroïnes. Une progression qui peut sembler lourde et prévisible au bout de deux heures. Heureusement, l'espoir est toujours de mise et le regard attentif s'avère d'une sincérité à toute épreuve.
Il s'exprime par une mise en scène délicate et intimiste, dans un perpétuel combat de lumière et de noirceur. Malgré des moyens modestes, la photographie soignée amène de la beauté au monde, relevant tout son sens. La voix off d'une profonde poésie fonctionne par exemple davantage que celle du récent Vivre à 100 milles à l'heure. Puis il y a l'accrocheuse trame sonore mélodique nappée de synthétiseurs de Louis-Jean Cormier qui rappelle celle de La naissance des pieuvres.
Plusieurs instants furtifs seront d'ailleurs difficiles à oublier. Comme cette superbe introduction dans la nuit noire d'une lumière qui se scinde en deux, s'éloignant (ou s'émancipant) pour mieux se retrouver. Une parfaite métaphore du film. Ou encore cette décisive rencontre extérieure entre la protagoniste et son amoureux (Étienne Galloy). Le plan est serré comme leur union. Puis un zoom arrière ne finit plus de les séparer et de les isoler dans la froideur mélancolique du paysage.
Fidèle à ses habitudes développées sur son marquant ovni À l'ouest de Pluton qu'elle a coréalisé en 2008, la trop rare Myriam Verreault est allée fouiller longuement sur le terrain. Un réflexe de documentariste pour une démarche de vérité plus vraie que vraie. Cela lui a permis notamment de trouver d'épatants comédiens non-professionnels, dont plusieurs ne semblent faire qu'un avec leur personnage. C'est le cas de Yamie Grégoire et, surtout, de Sharon Fontaine-Ishpatao qui semble porter le poids du monde sur ses épaules. Leurs engueulades sont tellement réalistes qu'elles en deviennent douloureuses.
Sans doute trop ambitieux, Kuessipan possède les maladresses de la jeunesse, de cet âge instable où tous les possibles sont envisagés tant les rêves sont grands. Un peu plus d'errance, de contemplation et de méditations impressionnistes n'auraient sans doute pas fait de mal. Mais derrière son traitement plutôt conventionnel se retrouve une empathie immense pour ses sujets et, plus généralement, envers le genre humain. Avec des films sensibles comme celui-ci et Avant les rues de Chloé Leriche, le cinéma québécois devient enfin plus représentatif de la réalité qui l'entoure.