Un individu se rend à un entretien d'embauche. Son CV est bien garni. L'entrevue se déroule sans anicroche. Malgré tout, au bout de quelques minutes, l'employeur lui indique qu'il est beaucoup trop qualifié pour le poste disponible.
Kraven le chasseur nous laisse constamment cette impression de nous trouver devant une proposition concoctée par une équipe de créateurs et d'interprètes dont les indéniables talents ont été mis au service d'un scénario ignorant la signification du mot « peaufiné ».
Après Morbius et Madame Web, nous savions que nous devions garder nos attentes aussi basses que possibles face à cette énième production sans direction ni destination claires financée par Sony dans le simple but de conserver les droits d'exploitation de l'univers de Spider-Man.
Le premier acte de Kraven le chasseur nous laisse néanmoins croire que les choses pourraient être un tantinet différentes cette fois-ci, et que le très compétent J.C. Chandor (Margin Call, All Is Lost, A Most Violent Year) serait peut-être bien parvenu à orchestrer - à l'insu du studio - un film d'action qui tient un tant soit peu la route.
Le réalisateur réussit, d'ailleurs, jusqu'à un certain point, à faire oublier les mauvais effets numériques en filmant ses environnements de façon maniérée. Ses élans les plus inspirés sont d'autant plus renforcés par la direction photo tout aussi effective de Ben Davis, et accompagnés d'une bande originale sortant suffisamment du lot. Bref, il n'y a aucun doute qu'il y avait de bonnes têtes de cinéma derrière le présent projet.
Chandor et ses acolytes s'en donnent également à coeur joie en ce qui a trait à la violence, alors que notre chasseur à l'instinct animal surdéveloppé affectionne les techniques et les machinations aussi élaborées que brutales. À cet égard, Kraven le chasseur livre la marchandise, même si ces moments sont proposés de façon un peu trop disparate pour être réellement marquantes.
Car, malheureusement, nos espoirs finissent par fondre comme neige au soleil par la suite, alors que les scénaristes essaient de mettre tellement d'éléments en place que l'ensemble paraît ultimement surchargé et irréfléchi. Le tout sans compter les dialogues totalement ridicules et explicatifs au possible qui finissent par plomber même les séquences les plus substantielles du récit.
Ironique, considérant que tout ce qui est introduit ici ne mènera jamais à rien.
Kraven le chasseur appartient en ce sens à la pire espèce de mauvais films, car il nous donne continuellement un élément faussement prometteur auquel nous raccrocher, nous laissant entrevoir les traces d'une oeuvre plus aboutie et satisfaisante sous ses épaisses couches d'idées usées, inutiles et/ou contradictoires, de choix artistiques douteux et de personnages mal développés, enveloppées d'une trame narrative tout aussi boiteuse.
Dans le rôle-titre, Aaron Taylor-Johnson offre une prestation de plus en plus désintéressée à mesure que progresse le récit. Et il est difficile de lui en vouloir tellement tout ce qu'on lui demande de faire est constamment affligé et désamorcé par de mauvaises décisions, et le manque de cohésion et de finition qui caractérise la production dans son ensemble.
Pour sa part, Russell Crowe utilise sa prestance habituelle pour se tirer d'affaire dans un rôle tout ce qu'il y a de plus linéaire, tandis qu'Alessandro Nivola est le seul qui semble un tant soit peu s'amuser en désespoir de cause, renouant avec le Pollux Troy qu'il incarnait dans Face/Off, et lui ajoutant une petite touche de Xavier Dolan de l'époque des Amours imaginaires pour composer la version la plus déroutante qui soit du fameux Rhino.
Tranche de vie : lors de l'avant-première montréalaise du film, la majorité de l'auditoire est demeurée dans la salle jusqu'à la toute fin du générique, continuant d'entretenir cet espoir candide qu'une ultime surprise un peu plus réjouissante allait surgir quelque part durant le long défilement des noms de toutes les personnes ayant participé au projet.
Car le cinéma de superhéros a bien conditionné son public depuis quinze ans, ayant su entretenir son goût pour un minuscule aperçu d'une éventuelle suite des choses, et ce, même après l'avoir déçu pendant plus de deux heures.
Mais ici, il n'y a que le néant.
Et il sera toujours un peu difficile de comprendre - au-delà de l'évidence - comment autant de temps et d'argent ont pu être investis dans une matière qui n'aurait pas pu être manipulée avec moins de conviction, et qui n'aura jamais débouché sur ce que le spectateur aurait réellement voulu voir dès le départ.
Quel gâchis!