Ce n'est pas tous les jours qu'un artiste a la chance d'incarner son propre rôle dans le film biographique qui lui est consacré.
C'est pourtant le cas des membres de la formation hip-hop irlandaise Kneecap, qui défendent leurs intérêts avec autant de conviction que d'autodérision dans ce premier long métrage d'envergure du réalisateur Rich Peppiatt.
L'origine du groupe - légèrement fictionnalisée pour les besoins de la cause - n'aurait pu être plus cinématographique. À Belfast, le professeur de musique JJ (DJ Próvai) est engagé par les forces de l'ordre pour servir d'interprète lors de l'interrogatoire de Liam Óg (Mo Chara), un jeune contrevenant soutenant ne pas comprendre la langue de Shakespeare.
Pour éviter que ce dernier ne soit aussi accusé de possession de drogue, JJ dissimule le carnet de notes du détenu, puis y trouve les textes engagés de ce dernier, qui mélangent les langues anglaise et irlandaise. Une découverte qui incite JJ à rebrancher son équipement musical dans son garage afin de créer quelques rythmes qui pourraient accompagner ces paroles crues, décrivant une réalité encore beaucoup trop commune. Le tout tandis que la lutte pour la protection de la langue irlandaise (qui n'a été reconnue comme langue officielle qu'en 2022) se déploie en arrière-plan.
C'est la naissance d'un trio dont les intentions baignent autant dans le patriotisme que la provocation et les effets de la consommation de beaucoup, beaucoup, de substances illicites, mais dont l'indéniable force de frappe musicale attire rapidement l'attention d'une nouvelle génération d'Irlandais.
À la suite de sa présentation à Sundance, en début d'année, Kneecap a rapidement été comparé au Trainspotting de Danny Boyle, obtenant d'ailleurs au passage une franche accolade de l'auteur du roman éponyme, Irvine Welsh.
Ces comparaisons sont certainement justifiées, alors que Rich Peppiatt insuffle à son film sensiblement la même énergie brute, incisive et décomplexée, trouvant autant racine dans la culture urbaine que l'errance sociale et les traumatismes d'un passé ayant toujours des répercussions sur le paysage politique actuel.
Il est grandement question du legs de l'IRA, représenté par un Michael Fassbender dont le personnage a feint sa propre mort pour échapper aux autorités. Peppiatt utilise d'ailleurs habilement ce dernier pour nous ramener directement à l'inoubliable Hunger de Steve McQueen.
Kneecap pose en ce sens des questions plus que pertinentes sur les définitions d'identités individuelle, collective et nationale à l'ère de l'hyperconnectivité. Surtout, le long métrage se penche sur les moyens d'expression peu orthodoxes pouvant encore être pris pour entretenir une culture et affirmer ses racines dans un climat où ces fers de lance n'ont plus la même signification ni la force rassembleuse qu'autrefois.
Ce discours s'imbrique dans l'observation d'un paysage sociopolitique encore marqué par d'importantes divisions, des revendications et des méthodes en constante opposition, ainsi que des clashs générationnels et autoritaires faisant ressortir autant de formes d'hypocrisie, de corruption et de vision tunnel.
Certes, le coeur du récit demeure la petite histoire tout sauf banale de Kneecap et de ses frasques controversés, dont tous les représentants se tirent aussi bien d'affaire dans les moments comiques et dramatiques que dans leurs performances scéniques imprévisibles et endiablées, captées et montées de manière tout aussi intense, impulsive et créative par Peppiatt et ses acolytes. Les séquences de travail en « studio » ne sont d'ailleurs sans rappeler celle du processus de création de la pièce « Whoop That Trick » dans le très bon Hustle & Flow de Craig Brewer.
Pendant un peu plus de 100 minutes, Kneecap nous sert un cocktail Molotov de rythmes exaltants, de revendications politiques, identitaires et linguistiques, et de délires visuels.
Et aux mélomanes nord-américains, le trio offre une première carte de visite laissant une très forte impression.