Il faut remonter loin pour trouver une héroïne aussi attachante et magnétique que celle de Julie (en 12 chapitres), véritable moteur d'une élégante oeuvre existentielle qui sent la liberté à plein nez.
Récompensée à Cannes pour sa performance vibrante, Renate Reinsve porte le film sur ses épaules. Elle est stupéfiante en jeune trentenaire spontanée qui a tout en main pour réussir et qui finit pourtant par saboter son bonheur et son avenir, volontairement ou pas. Elle met son corps et son âme tout entiers au service d'un personnage marginal, représentante d'une jeunesse désillusionnée en quête de sens qui ne veut pas nécessairement suivre le modèle consensuel du couple stable avec des enfants et un travail payant. Peu importe ce qui lui arrive, elle fonce tête baissée vers l'adversité, n'ayant rien de la personne que laisse deviner le titre anglais (The Worst Person in the World).
Ce sujet pourra paraître familier auprès des amateurs de Joachim Trier, le cinéaste norvégien le plus doué de sa génération. C'est normal, Julie (en 12 chapitres) conclut une trilogie amorcée en 2006 par Reprise (Nouvelle donne). Si ce nouveau long métrage n'est pas aussi mémorable que Oslo, 31 août qui l'a révélé sur la scène internationale en 2011, il comporte suffisamment d'inventivité et de délicatesse pour subjuguer le cinéphile jusqu'à la fin. L'ouvrage vient d'ailleurs d'être nommé aux Oscars pour la qualité de son scénario original : fait rare pour une création qui n'est pas anglophone.
Débutant de façon ludique et romantique, le récit drôlement lumineux ne tarde pas à embrasser une certaine gravité, se terminant par deux moments mélancoliques aussi prenants que révélateurs. La chronique trouve les mots justes pour parler des sentiments, des doutes et du temps qui passe, utilisant une construction en chapitres qui peut rappeler certains opus confectionnés par Jean-Luc Godard pendant la Nouvelle Vague. De courte ou longue durée, ces épisodes inégaux et très différents les uns des autres semblent parfois autonomes et désorganisés (ah, ces champignons hallucinogènes!), ne formant que tardivement une certaine cohésion.
Retrouvant sa verve après deux essais plus ou moins convaincants (Louder Than Bombs et Thelma), le cinéma de Trier n'a jamais été aussi vif que lorsqu'il est - ou semble - tourné dans l'urgence. Une virtuosité émane alors du réel et sa mise en scène, entièrement au service des êtres, pimente constamment les situations. Elle arrête notamment le sablier lors d'une mémorable séquence fantasmée, utilisant ailleurs la musique à bon escient. Surtout que le réalisateur filme Oslo comme personne, donnant le goût d'aller s'y perdre.
Même s'il traîne quelque peu en longueur en prenant des chemins de traverse tortueux, Julie (en 12 chapitres) mérite qu'on s'y attarde. Le film qui parle de la difficulté d'aborder le monde d'aujourd'hui est loin d'être banal, étant mené tambour battant par une incandescente Renate Reinsve qui fait battre le coeur plus rapidement. Voilà la sortie tout indiquée pour la Saint-Valentin, en doublé si possible avec l'aussi charmant Licorice Pizza.