Prix Gilles-Carle aux derniers Rendez-vous Québec Cinéma, Jour de merde est un premier long métrage satisfaisant qui sans convaincre totalement, se laisse savourer avec un malin plaisir.
Une jeune mère monoparentale (Ève Ringuette) possède un emploi qui fait des heureux. Elle est chargée de mener des entrevues filmées avec des gens qui viennent de remporter de larges sommes d'argent. Sauf que ce jour-là, rien ne se déroule le comme prévu et le gagnant (Réal Bossé) lui réserve bien des surprises...
Le film ne tarde pas à installer un sentiment de malaise. De la patronne de l'héroïne à son ancien mari, en passant par son fils adolescent : son entourage s'est donné le mot pour l'humilier et la vilipender. Une violence constante qui est exacerbée par de multiples sonneries téléphoniques et des aboiements de chiens. Si en plus la voiture tombe en panne au fin fond de nulle part et que la simple interview se complique, tout ne pourra que mal se terminer.
C'est justement ce qui arrive à mi-chemin dans un étonnant retournement de situations qui inscrit le récit dans le film de genre. La comédie devient de plus en plus noire, absurde et décalée, ne faisant qu'une bouchée du drame et de suspense en place. La réalité est détournée au profit d'un cauchemar insolite et irrévérencieux, truculent à bien des égards, qui évoque autant le Fargo des frères Coen qu'un conte des frères Grimm.
Ève Ringuette domine l'écran de sa présence rassurante. Bien que son personnage demeure un peu trop passif, elle s'avère le témoin de toute cette folie qui peut exploser lorsque la rage est mal contrôlée. Face à elle se trouve l'inquiétant Réal Bossé dans un rôle qui n'est pas sans rappeler celui qu'il défendait dans Jusqu'au déclin, mais en plus attachant et mémorable. Le duo est entouré de comédiens de talent, dont Valérie Blais, inoubliable en soeur de l'antagoniste.
Les personnages sont tellement tordus qu'on aurait souhaité que le scénario les exploite davantage. Ce dernier reste plutôt en surface, ne lésinant pas sur les clichés. Comme si le film avait été écrit et tourné dans l'urgence pour profiter, justement, de son sujet. Cela pourrait expliquer la mise en scène de Kevin T. Landry (coréalisateur de Première vague) qui est très soignée par endroit (les plans fixes, l'utilisation du froid pour isoler les âmes) tout en manquant de rigueur par moment (quelques coins ronds, un rythme parfois déficient).
En l'espace de trois petits mois seulement, le cinéma québécois de fiction bourdonne de propositions différentes, passant du Plongeur à Coco ferme, en faisant un détour par Crépuscule pour un tueur, Katak, le brave béluga, Respire et La cordonnière. À l'instar de Mistral spatial de Marc-Antoine Lemire, Jour de merde est un projet beaucoup plus audacieux et casse-gueule qui, s'il ne fait pas l'unanimité, a le mérite de décloisonner notre septième art.