Dans le cinéma québécois, la chasse permet non seulement d'explorer l'immensité du territoire, mais elle sert également d'exutoire pour les hommes qui, ensemble et loin de la civilisation, se révèlent bien différents. Cela a donné par le passé des oeuvres marquantes de notre cinéphilie, comme La bête lumineuse de Pierre Perrault et Le temps d'une chasse de Francis Mankiewicz. En jouant avec les genres, Annick Blanc réveille, avec son étonnant premier long métrage Jour de chasse, la bête qui sommeille en nous.
Des amis se réunissent dans le bois pour l'enterrement de vie de garçon de l'un des leurs. Ils vont chasser, déconner et se saouler en toute tranquillité. C'est là que débarque à l'improviste Nina (Nahéma Ricci), une travailleuse du sexe. La présence de cette nouvelle venue risque de complètement bouleverser leur équilibre.
Voilà un film qui ne manque pas de sujets probants et potentiellement explosifs. Il y a tout d'abord celui de la masculinité toxique et du gaslighting (de la manipulation émotionnelle et psychologique qui vise à faire douter une personne d'elle-même). Nina se retrouve rapidement bien seule et elle devra user de toute sa fougue pour ne pas se laisser manger la laine sur le dos par ces hommes qui se dressent devant elle.
Le thème du groupe prend également toute son importance. Cette fin de semaine dans un chalet isolé devient le microcosme de la société, où le désir d'appartenance prime sur le reste. L'être humain est prêt à tout pour ne pas finir isolé, même à renier ses plus beaux principes. Les moments empreints de malaises ne sont ainsi pas rares, notamment lorsque l'inertie devient la solution à une situation qui dépasse l'entendement.
La première moitié du récit - la plus réussie - expose toutes ces relations de pouvoir qui se créent entre Nina et le reste de la meute. La seconde se laisse emporter par des poncifs qui semblent émaner d'un mauvais Arcand. L'arrivée d'un second inconnu (interprété par l'acteur non professionnel Noubi Ndiaye) vient davantage brouiller les cartes. Ce n'est pas un hasard s'il est noir. Cela permet d'aborder le racisme et la xénophobie. Dommage que le scénario, parsemé d'abus de drogues et de rituels presque chamaniques, n'arrive pas à traiter de façon satisfaisante cet élément primordial.
Entre horreur, suspense psychologique et humour noir, Jour de chasse navigue avec aisance entre les genres. Si le sujet peut paraître ténu et qu'il s'avère vite redondant, la production a le mérite de se terminer au bout de 80 minutes. Après quelques moments d'errances et de flottements, la finale mordante a tôt fait de remettre les pendules à l'heure.
Le long métrage est le terrain de jeu idéal pour confirmer le grand talent de Nahéma Ricci. La comédienne que l'on a découverte dans Antigone explore différents registres avec brio. Elle semble d'ailleurs beaucoup s'amuser au côté de ses camarades masculins (Bruno Marcil, Marc Beaupré, Alexandre Landry...), dont les performances inégales ne sont pas sans excès. La tenue des dialogues peut également faire sourciller tant la crédibilité laisse parfois à désirer. On est loin à cet effet des essais de chasses de Robert Morin qui, s'ils débordent de mots (Papa à la chasse aux lagopèdes) ou n'en comportent aucun (Festin boréal), dévoilent parfaitement les parts d'ombre de la condition humaine.
C'est lorsque la cinéaste fait confiance au pouvoir de ses images que son film sort du lot. Annick Blanc excelle à cadrer ses personnages de près afin de palper leurs émotions, faire ressortir leur folie. La photographie de Vincent Gonneville (Nouveau-Québec) exploite avec aisance le territoire sauvage et toutes ses nuances de couleurs en y insufflant une dimension énigmatique. Cela donne plusieurs séquences étonnantes et quelque peu esthétisantes, combinant ralentis et musique mélodique. À tel point que l'effort n'hésite pas à verser dans l'onirisme afin d'accéder au royaume des rêves qui hantent régulièrement l'héroïne.
Présenté à South by Southwest et à Fantasia, Jour de chasse s'apparente à une escapade anxiogène en forêt. Un exercice de style de belle facture qui, s'il s'avère un brin frustrant sur le plan dramaturgique, donne froid dans le dos dans sa façon rappeler qu'il y a toujours un monstre prêt à surgir. Surtout au sein d'un groupe d'hommes qui ne pensent qu'à s'amuser.