En 2008, la compagnie Lego proposait à sa clientèle de petits et de grands bâtisseurs une première réplique de l'Étoile de la mort de la saga Star Wars, laquelle comprenait pas moins de 3803 pièces.
Joker: Folie à Deux semble avoir été pensé et exécuté comme le commun des mortels tenterait d'assembler ladite Étoile de la mort, mais sans manuel, et avec un nombre incalculable de pièces manquantes.
Comment les choses ont-elles pu déraper à ce point après le succès phénoménal du premier opus, sorti en 2019? On parle tout de même d'un film destiné à un public mature ayant réussi l'exploit non négligeable d'engendrer des recettes de plus d'un milliard de dollars à travers le monde.
D'autant plus que nous retrouvons la même équipe artistique aux commandes de ce nouveau chapitre. Malheureusement, le réalisateur Todd Phillips paraît plus intéressé cette fois-ci à désavouer sa propre création, qu'à bâtir sur ses acquis.
Joker avait le mérite de vouloir provoquer et brasser la cage en portant un regard dur, violent et jamais subtil sur une société profondément malade. Il ne s'agissait pas d'un appel à la révolte - comme certains se sont plu à le prétendre - mais d'une mise en garde quant aux conséquences qui nous guettent si nous continuons à détourner le regard d'une fissure sociale qui ne cesse de s'agrandir.
Joker: Folie à Deux se déroule deux ans après les événements du premier épisode. Arthur Fleck (Joaquin Phoenix) est incarcéré dans l'aile à sécurité maximale du pénitencier d'Arkham. Son regard croise un jour celui de Lee (Lady Gaga), et un concours de circonstances plus ou moins crédible l'amène peu de temps après à intégrer le groupe de chant auquel participe cette dernière.
Parallèlement, le procès que doit subir Arthur pour les meurtres qu'il a commis est sur le point de débuter. Tandis que ce dernier et Lee développent une relation de plus en plus fusionnelle, les procédures judiciaires donnent lieu à un véritable cirque médiatique, démontrant que le Joker a toujours énormément de supporters.
Ah oui et, sporadiquement, Arthur et Lee semblent entendre une partition musicale émanant de nulle part, puis se mettent à chanter et à danser comme le coeur leur en dit. Malheureusement, le tout se passe la plupart du temps dans la tête du personnage-titre.
Pire encore, ces numéros musicaux - qui aurait dû permettre à la production de sortir des sentiers battus - se révèlent en fin de compte totalement inutiles à la trame narrative, si ce n'est que pour en souligner l'essence à plus gros traits - si une telle chose est possible.
Au-delà de l'évidence, Joker: Folie à Deux n'a rien de très pertinent à dire sur aucun des thèmes qu'il aborde, ne se contentant que de les effleurer de la manière la plus maladroite et superficielle qui soit. Contrairement à Joker, Todd Phillips et son coscénariste Scott Silver ne prennent jamais le temps non plus de prendre le pouls du climat sociopolitique de Gotham City. Nous avons constamment le nez collé sur Arthur et Lee, mais les deux scénaristes ne trouvent rien d'un tant soit peu extravagant, choquant et significatif à faire avec eux.
Même lorsque le film se transforme subitement en drame judiciaire, Phillips se retrouve menotté par la composition de son propre personnage, ne pouvant mettre le feu au baril de poudre, car ce dernier n'en a tout simplement pas la capacité dans son for intérieur. Comme tout le reste, ce passage particulièrement long et laborieux se révèle être un immense pétard mouillé.
Ce que nous devons néanmoins accorder à Phillips et son équipe, c'est d'avoir essayé de créer quelque chose de différent, et Joker: Folie à Deux ne manque pas de bonnes idées et de concepts intrigants.
Le problème, c'est que tous ces élans semblent être passés directement de la feuille tachée de café et chiffonnée d'un bloc-notes à l'écran, sans qu'il n'y ait aucune tentative d'approfondir ou de peaufiner quoi que ce soit durant le processus.
Et au cinéma - comme dans l'art en général -, il n'y a rien de plus irritant qu'une oeuvre qui prétend être plus intelligente, rusée et clairvoyante qu'elle ne l'est vraiment.
D'ailleurs, oubliez déjà le mot « Folie » du titre, car pour un film ayant bénéficié d'un budget estimé à environ 200 millions de dollars, la majorité du présent long métrage se passe entre quatre murs. Il y a jouer de prudence, puis il y a carrément faire preuve de paresse...
Étrangement, les séquences musicales ne sont guère plus convaincantes, tandis que l'histoire d'amour entre les deux protagonistes prend de plus en plus les airs d'une succession de rendez-vous manqués. Si Joaquin Phoenix offre encore une performance marquante dans la peau d'Arthur Fleck, la chimie n'opère pas toujours avec Lady Gaga, qui ne se voit jamais donner l'opportunité de jouer à la hauteur de son talent.
Au final, Joker: Folie à Deux est un drame carcéral correct, sans plus, une mauvaise comédie musicale, une histoire d'amour mal écrite et peu engageante, un drame judiciaire abyssal, et une étude de personnages d'une désolante vacuité.
Au moins, la direction photo de Lawrence Sher est aussi sublime qu'au premier tour de piste, tout comme la bande originale aussi sinistre que pesante d'Hildur Guðnadóttir.
Mais même bien emballée, une boîte vide, ça reste une boîte vide.