La filmographie de Richard Linklater est jalonnée de moments forts - dont la trilogie Before, amorcée en 1995 avec Before Sunrise et close 20 ans plus tard avec Before Midnight - qui ont démontré sa capacité à s'adapter à pratiquement tous les genres. Une feuille de route aussi diversifiée est sans aucun doute un grand avantage quand on s'attaque à un projet aussi ambitieux et complexe que Boyhood, tourné en douze ans, à raison de quelques jours par année, avec les mêmes acteurs, qui vieillissent à l'écran en même temps que les personnages. Le résultat ici est particulièrement convaincant et cohérent, quoique limité par la réalité, ce qui n'est pas obligatoire au cinéma.
La chronique d'une vie. Le passage à l'âge adulte. Des thèmes récurrents au cinéma, sous plusieurs formes d'ailleurs. Attaquant le problème de front, Richard Linklater place, avec son nouveau long métrage, le spectateur dans la chaise d'un observateur du quotidien. Évitant ainsi les principaux pièges du cinéma de fiction, refusant même systématiquement les enjeux simplistes, le réalisateur forme un film qui est tellement prévisible qu'il est imprévisible. Au cinéma, le commun est difficile à envisager, le spectateur est par conséquent toujours en état de qui-vive, en attente du prochain revirement. Mais Linklater n'en a que faire. C'est pour cette raison que Boyhood, même s'il se passe entièrement au Texas et qu'il raconte tout simplement la vie d'un jeune garçon de 6 ans jusqu'à ses 18 ans, est un film d'aventures.
Un film d'aventures brillamment interprété par Ellar Coltrane, Lorelai Linklater, Patricia Arquette et Ethan Hawke, dont le naturel est ici une grande force. Le film en fait sa qualité première et traite ses personnages, malgré leurs défauts et exception faite d'un beau-père alcoolique (Boyhood n'est tout de même pas sans clichés), avec une grande empathie et beaucoup de tendresse.
Boyhood devient rapidement une exploration de la vie ordinaire, manoeuvrant habilement autour de situations qui, au cinéma, déclenchent habituellement toute une série d'événements plus ou moins tragiques. Ce n'est qu'après un certain temps - un mot-clé dans tout le projet, le temps - que cela devient la norme qu'il ne se passe rien de grandiose, sinon la vie. La vie se passe. C'est tout, mais c'est déjà beaucoup, et beaucoup plus près de la réalité que le cinéma ne l'est habituellement. Pas question de tomber dans le piège, toutefois, car Boyhood n'a rien de véridique - sinon l'effort et l'amour du réalisateur pour ses personnages - lorsque les parents particulièrement compréhensifs du jeune Mason sont toujours prêts à lui proposer une leçon de vie au moindre de ses questionnements, ou à chaque fois que ce dernier rencontre une nouvelle magnifique jeune fille qui surpasse la première en terme de beauté cinématographique. Alors, on se souvient que c'est du cinéma...
Ce n'est pas parce qu'il a fallu douze ans à Richard Linklater pour tourner Boyhood que le film est valable; il ne s'agit que d'une circonstance menant à sa création. C'est parce que le réalisateur a su tirer profit de ces circonstances inhabituelles pour proposer un film d'observation unique et cohérent, et véritablement senti.