Dommage que Jersey Boys soit si ennuyant, parce que l'histoire qu'il raconte ne l'est pas; les personnages sont colorés, atypiques, et leur quête vers le succès et la célébrité n'en fut pas une dénuée d'embûches et de fiascos. Mais sous l'oeil pourtant avisé et expérimenté de Clint Eastwood, les aventures entourant la création du groupe Four Seasons et celles qui ont propulsé Frankie Valli au sommet des palmarès sont d'une fastidiosité désespérante. Un drame biographique se doit d'user d'un peu d'audace pour attirer l'attention et convaincre le public de la pertinence de raconter cette histoire vécue au cinéma. Malheureusement ici, Eastwood n'arrive jamais à nous persuader de la valeur de son récit. C'est parce que cette histoire en est une vraie que notre intérêt ne se dissout pas complètement. Si les personnages et les évènements étaient entièrement fictifs, la valeur de l'oeuvre serait bien différente.
Comme trait caractéristique spécifique du film, on remarque la narration intra-diégétique faite par divers personnages qui arrêtent l'action pour s'adresser à la caméra. Il est très rare au cinéma qu'on ose briser le quatrième mur et qu'on parle ou qu'on regarde directement le public. C'est une fracture très risquée qui peut être payante (comme elle l'était dans l'excellent et troublant Funny Games), mais ici, elle n'apporte absolument rien à la production, si ce n'est qu'une mièvrerie inutile. Si les narrateurs livraient une information pertinente à la compréhension de l'histoire globale, peut-être pardonnerions-nous l'impudence, mais ce que racontent les protagonistes est aussi superflu que le reste des dialogues.
Il y a peut-être la direction photo texturée et l'atmosphère des années 1960 qui transparaissent dans l'image et apportent un souffle vénérable au film qui nous permet d'excuser quelques faux pas, mais de manière générale, Jersey Boys laisse perplexe, voire déçoit. John Lloyd Young, Vincent Piazza, Erich Bergen et Michael Lomenda sont tous des illustres inconnus qui se débrouillent généralement bien dans la personnification de chanteurs importants d'une certaine époque. Il reste quelques instants moins bien dosés où les acteurs ont du mal à intégrer chacune des caractéristiques de leur alter ego et tombent vaguement dans la caricature plutôt que dans l'interprétation, mais ces séquences sont généralement bien dissimulées dans un ensemble plutôt homogène.
Utiliser le même acteur pour interpréter un homme de 16 à 70 ans était peut-être aussi une maladresse qu'on aurait pu éviter. Généralement, on peut déterminer la temporalité d'une oeuvre grâce au vieillissement des acteurs, mais ici, ils ont le même faciès (mis à part quelques moustaches et des cheveux plus longs) - sauf au cours de la finale au Rock and Roll Hall of Fame - du début à la fin.
L'immense indifférence qui règne dans ce film est affligeante. Même si je ne suis pas de cette génération qui adulait Frankie Valli, je crois tout de même que le chanteur méritait mieux qu'un drame sans âme et (ironiquement) sans voix.