Devoir de mémoire.
Avec « The Brutalist », un film moins facile et qui devrait maturer avec le temps pour gagner encore plus en prestige, et « Jouer avec le feu » côté tricolore, « Je suis toujours là » est assurément le premier grand film de 2025. Une œuvre forte, poignante et nécessaire, surtout au vu du contexte international actuel et du retour des autoritarismes un peu partout. Mais également parce que le Brésil sort de quatre ans avec l’extrémiste de droite Bolsonaro et que de nombreuses dictatures militaires persistent encore et toujours dans le monde. Avec cette magnifique et tragique histoire vraie, le cinéaste du cru Walter Salles signe un long-métrage qui fera date et à montrer aussi bien aux jeunes dans les écoles qu’aux habitants de toutes les démocraties qui seraient tentées de verser dans des régimes tels que celui présenté ici. Le Brésil a vécu sous dictature militaire des décennies et ce beau film doux mais engagé, en forme de piqure de rappel est important.
On a connu le cinéaste avec le sublime « Central do Brasil », déjà avec la même actrice en tête d’affiche. Un film qui l’avait également envoyé aux Oscars comme celui-ci cette année. Puis il a tourné pas mal d’œuvres majeures entre son pays natal et l’international qui ont eu plus ou moins de succès. On n’avait personnellement pas été emballé par ses deux road-movies qui ont concouru en festival, « Carnets de voyage » qui relatait les voyages du futur Che Guevara avec Gabriel Garcia Bernal et « Sur la route » avec notamment Kristen Stewart et inspiré des écrits de Jack Kerouac. Pas plus qu’on ne l’avait été par son remake du film d’horreur japonais « Dark Water ». Puis, il s’était fait plus discret avec des productions locales moins connues et reconnues. Et bien son retour avec « Je suis toujours là » se fait par la grande porte tant son nouveau film marquera les esprits et les cœurs.
Il a cependant une énorme carte joker qui joue beaucoup dans la réussite du long-métrage et c’est la même que celle de « Central do Brasil ». Il s’agit bien sûr de son actrice fétiche, Fernanda Torres, qu’il retrouve pour une nouvelle œuvre phare qui sera gravée dans les mémoires cinéphiles, plus de vingt-cinq ans après leur première collaboration. Elle empoigne ce rôle magnifique avec ferveur et dévotion. Solaire au début du film, terrorisée ensuite pour laisser place à l’angoisse et enfin à la résilience, elle nous fait ressentir une myriade d’émotions. Que ce soit le bonheur d’une famille unie malgré la dictature en dehors, la peur et la crainte lors des séances de torture ou encore l’horreur du sentiment d’absence et d’incertitude face à la perte de l’homme qu’on aime, elle est grandiose. Son personnage et l’incarnation qu’elle nous propose resteront toujours dignes, beaux et apaisés malgré l’enfer psychologique de la situation. Elle a gagné un Golden Globe mérité et devrait être la principale concurrente de l’Oscar de la meilleure actrice face à Demi Moore pour « The Substance ». À ses côtés, les jeunes acteurs qui jouent les enfants sont tout aussi bons et naturels dans leur jeu, formant une famille crédible et attachante.
« Je suis toujours là » choisit de nous montrer d’abord le tableau très réussi et idyllique d’une famille unie et heureuse sous le soleil de Rio de Janeiro. Malgré ce portrait apparemment parfait, la menace de l’armée plane par le prisme de quelques séquences inquiétantes. Puis vient le jour de l’enlèvement suivi des séances d’interrogatoire. Lourdes, anxiogènes et rageantes pour le spectateur. Salles choisit d’être factuel, précis et jamais dans l’excès. La seconde partie du film sera consacrée à l’attente, la gestion de l’absence et de la manière de se reconstruire quand on perd un être cher sans pouvoir véritablement faire son deuil. C’est déchirant, juste et jamais versé dans un pathos qui prendrait le spectateur en otage. On passe de la lumière aux ténèbres avec fluidité et réalisme.
Les ellipses nous menant aux derniers actes du film, plus loin sur la ligne temporelle (en 1996 et 2014), sont utiles car elles permettent de voir l’effet du temps sur la perception d’une telle tragédie. Mais c’est lors des dernières images et des sempiternels (mais incroyablement émouvants) encarts de fin que l’émotion nous empoigne et nous fait verser quelques larmes. La reconnaissance et le fait de pouvoir mettre des mots sur le drame et le choc vécus pour enfin pouvoir dire adieu et partir en paix. « Je suis toujours là » est un film politique sans trop de politique, engagé mais intime, qui résonnera longtemps dans nos âmes. Peut-être un peu long, on ne s’en formalisera pas tant Salles parvient à nous faire ressentir la douleur d’une famille coupée dans son bonheur (parfois magnifiquement retranscrit par les photos et des films en super 8) et nous livrer une œuvre engagée, et puissante. Un coup de cœur, un film indispensable.
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