Cette collaboration entre Clint Eastwood et Leonardo DiCaprio (scénarisée par Dustin Lance Black, récipiendaire d'un Oscar pour Milk) aurait bien pu être l'événement cinématographique de l'année. Ce n'est non seulement pas le cas, mais c'est probablement l'une des plus grandes déceptions de 2011; pas que le film soit particulièrement mauvais - enfin, pas plus qu'un autre - mais qu'il aurait pu (et aurait dû) être tellement plus vu son sujet et le talent qui l'avait entre les mains.
Et si la performance de DiCaprio est tout aussi bonne qu'on le prévoyait, on ne peut en dire autant du travail d'Eastwood, mou, maladroit, confiné aux clichés du film d'époque (la direction photo est d'une simplicité déconcertante) et prisonnier d'une sorte de fascination pour les costumes, les chapeaux et les voitures vintage. Mais ces détails ne suffisent pas à installer une véritable ambiance historique, en particulier lorsqu'on passe sans complexe de l'enquête sur l'enlèvement de l'enfant Lindbergh à l'assassinat de Kennedy et aux affaires de moeurs du Président. Il faut dire que ces affreux maquillages n'aident pas du tout... Tout demeure anecdotique, même si J. Edgar essaie de donner de l'importance aux événements en appuyant for-te-ment sur les syllabes im-por-tan-tes.
Dommage que le script soit si inutilement confus, passant de flashback en flashback, les imbriquant les uns dans les autres, entre la jeunesse de J. Edgar et son lent déclin après 48 ans passés à la tête du FBI. Il était pourtant le personnage parfait pour un biopic d'envergure : manipulateur, intransigeant, charismatique, il a le profil pour être le sujet d'un (si long) film. Et puis, tous les événements historiques auxquels il a été mêlé, de près ou de loin, laissent présager un film épique... qu'on ne voit finalement jamais.
On passe à côté tout simplement parce qu'on a raté le personnage en le confinant presque exclusivement à son bureau, en utilisant bêtement le truc des « mémoires », dictées à un jeune auteur à qui il faut tout expliquer (que c'est pratique!) des enjeux et du contexte historique pour couvrir une vie si remplie et si marquante dans l'histoire américaine. Seule une ouverture finale, où la véracité du récit de J. Edgar est démolie par son ami et peut-être amant Clyde Tolson (incarné par Armie Hammer, le jumeau de The Social Network) propose une vision plus audacieuse de ce qu'est ou doit être un biopic, avec sa part de mensonges et de détournement de faits.
J. Edgar n'est pas particulièrement admiratif de son sujet, n'hésitant pas à illustrer sa passion homosexuelle refoulée (non confirmée) pour son assistant et ses méthodes illégales pour faire chanter les plus haut placés du gouvernement. Or, c'est justement là, dans ces relations intimes avec les gens qui l'entourent (et qui l'aiment malgré tout) qu'on trouve enfin un personnage digne du film qu'on lui a consacré, qu'on voit l'intelligence des dialogues (dans les formules de politesse utilisées, entre autres) qui laissait présager le début du grand film. On n'aura eu que le début, étalé sur plus de deux heures inégales.
Dommage. Mais dans le cinéma américain, c'est souvent « dommage » qu'on n'ait pas pu accomplir ce que le film promettait d'être. Dans le cas particulier de l'histoire fascinante du personnage fascinant qu'est J. Edgar Hoover, et vu son importance historique, c'est une vraie catastrophe que de n'avoir que ce brouillon de quelque chose de remarquable.