Bonne nouvelle: Innocent est meilleur que Hot Dog et Y'en aura pas de facile, les précédents longs métrages de son créateur. Mauvaise nouvelle: ce n'est pas un bon film pour autant.
On sent pourtant le désir de son cinéaste Marc-André Lavoie de revenir à l'essence de son sympathique Bluff, qu'il a coréalisé avec Simon-Olivier Fecteau. Il y a une multiplication des récits et des personnages, une amoralité chez ses êtres assoiffés d'argent et des relations amoureuses qui virevoltent au gré des humeurs. Tout cela s'articule autour d'un héros (Emmanuel Bilodeau) naïf qui vit de nombreuses péripéties rocambolesques.
On s'imagine cette matière première dans les mains de Francis Veber qui pondrait aisément une énième aventure à son légendaire François Pignon. Ici, l'accouchement se fait plus difficilement, moins naturellement. Le scénario demeure très limité, remplacé par de l'improvisation forcément inégale qui tourne rapidement à vide. Les différents tronçons d'histoires (il y en a au moins cinq) ressemblent davantage à des sketchs intégrés n'importe comment qui sèment rapidement la confusion.
Il y a pourtant de beaux flashs qui sont parsemés à différents endroits. L'introduction menaçante semble provenir tout droit d'un épisode de Saw. L'alternance des saisons apporte une rare exploration psychologique des humains, alors que le générique chanté est une excellente idée trop peu exploitée.
Malheureusement, ces illuminations s'étirent et laissent apparaître les défauts. Les thèmes (l'apparence, les préjugés...) ne sont abordés qu'en surface, le manque de subtilité intègre rapidement les situations et le mélange de drame et d'humour prend rarement. Le premier est beaucoup trop timide (il est pourtant parfois question d'un fils maltraité par son père, d'Alzheimer) alors que le second fait à peine esquisser un sourire.
Évidemment, il y a une distribution impressionnante du star system québécois pour détourner l'attention. Sans être mauvais, les Pascale Bussières, Dorothée Berryman, Réal Bossé, Sandrine Bisson, David La Haye et autres Mahée Paiement en font trop. Seul Emmanuel Bilodeau, l'acteur fétiche de Lavoie, trouve le bon dosage, versant rarement dans la facilité. Voilà un comédien aguerri que l'on voit trop peu au grand écran et qui est capable de se défendre peu importe le registre (l'excellent Curling de Denis Côté est l'exemple le plus criant).
On ne peut qu'admirer la démarche du metteur en scène qui n'a pas attendu l'aide des institutions pour tourner. Avec un budget famélique, il offre une réalisation tout à fait acceptable. Et qui sait, peut-être réussira-t-il à récolter un peu de profit, ce qui n'arrive pratiquement jamais dans le cinéma de la Belle Province. Son effort n'a pourtant que faire de l'art en tant que tel, lui préférant une farce élémentaire rapidement consommée. Avec son désir de s'affranchir des règles en place, pourquoi cela ne vient-il pas avec une réelle prise de risques et de véritables propensions créatrices? Que l'on vise un opus plus exigeant ou un noble divertissement populaire dans la lignée de celui de Denis Héroux auquel Innocent est dédié, cette liberté a un prix et ne pas en profiter est presque un sacrilège.