Grand favori aux César où il a décroché pas moins de 15 nominations, Illusions perdues est une fresque immense à bien des égards.
Publié en trois parties entre 1837 et 1843, ce chef-d'oeuvre d'Honoré de Balzac traite de riches sujets contemporains, que ce soit le culte du roi dollar, le journalisme corrompu et l'information spectacle. Un texte cynique et féroce à souhait où les personnages qui déambulent souvent comme des pantins finissent par se faire broyer par le système.
Cette luxueuse adaptation conserve son essence première en demeurant toutefois plus humaine et satirique. Les thèmes toujours pertinents - cupidité, fausses nouvelles, publicités omniprésentes - sont abordés avec une certaine dérision et exagération afin de montrer comment le monde n'a pas nécessairement changé, prêt à encenser ou à détruire une carrière en moins de deux. Une réflexion sur la critique et la littérature se développe ainsi en parallèle, ne manquant pas de mordant et d'humour noir. Débutant en force, le long métrage finit toutefois par perdre de sa verve et de sa superbe dans la durée, même s'il demeure généralement distrayant et intéressant.
Ce n'est pourtant pas surprenant que le cinéaste Xavier Giannoli se soit intéressé à ce récit. Ses créations les plus mémorables comme À l'origine et L'apparition s'abreuvent à la source de la trahison et du faussaire, qui apparaissent au coeur même de l'ouvrage. Tous les personnages dissimulent quelque chose afin de s'élever socialement. C'est le cas du héros (interprété avec énergie par Benjamin Voisin, qui confirme les espoirs fondés en lui dans Été 85), un poète naïf et idéaliste. Mais également de Nathan, un écrivain qui apparaît tour à tour ambitieux et généreux, calculateur et protecteur. Un personnage complexe et ambigu, défendu avec justesse par Xavier Dolan. Le réalisateur de Mommy assure aussi la narration, rappelant les fondations littéraires de son matériel d'origine.
Malgré une distribution masculine exemplaire qui comprend Vincent Lacoste en journaliste amoral et Gérard Depardieu en éditeur illettré, ce sont les femmes qui composent les rôles les plus intéressants. Cécile de France est déchirante en maîtresse de la petite noblesse qui ne peut vivre publiquement son amour parce que son amant n'est pas du même rang qu'elle. Après Quand j'étais chanteur et Superstar, l'actrice apparaît au sommet de son art lorsqu'elle se fait diriger par Giannoli, offrant une performance d'une grande puissance émotionnelle. Beaucoup plus glaciale est la composition de Jeanne Balibar, qui fait passer une large gamme de sentiments contradictoires par l'intensité de ses regards. Salomé Dewaels complète ce trio en incarnant avec brio une comédienne attachante, dont la soif d'une pureté renouvelée ne viendra pas sans une certaine déchéance.
Le metteur en scène de Marguerite orchestre le tout avec un véritable sens du spectacle. Sa réalisation soignée et virtuose à ses heures captive aisément le regard, emporté dans une vaste danse où l'esthétisme laisse béat. À ce sujet, la recréation d'époque s'avère hallucinante. Un sentiment d'ivresse se fait rapidement ressentir, ce qui pourrait paraître étouffant selon la sensibilité de certains cinéphiles.
En explorant les affres de la nature humaine, Illusions perdues ne fait pas dans la demi-mesure. Il s'agit d'une oeuvre d'excès et de désinvolture à la mécanique parfaitement huilée (un peu trop, d'ailleurs), qui finit par aseptiser la vie pour y laisser défiler des êtres solitaires en quête de leur âme dérobée. Un film divertissant, intelligent et cruellement d'actualité qui rappelle que le drame historique n'est pas obligé d'être classique et poussiéreux.