Le temps passe vite. Pour célébrer le 30e anniversaire de Forrest Gump, presque toute l'équipe de ce « classique » moderne (acteurs principaux, réalisateur, scénariste, directeur photo, compositeur...) est de retour avec Here, une chronique ambitieuse qui ne passera malheureusement pas à l'histoire.
Est-ce possible de saisir ce temps qui fuit, irrémédiablement? Cette question proustienne est au coeur de ce projet hors norme qui voit défiler les années, les décennies et même les siècles. Plusieurs individus ont habité une maison et on y suit principalement Richard (Tom Hanks) et son épouse Margaret (Robin Wright). Tout d'un coup, une ellipse apparaît, transportant le spectateur dans le passé, à l'époque du père de Richard (Paul Bettany) et de sa mère (Kelly Reilly). Puis les sauts dans le temps se multiplient, où figurent des inconnus qui ont tous résidé au même endroit.
Cette adaptation du roman graphique de Richard McGuire parle des joies et des peines du quotidien, des événements qui nous marquent à jamais. Entre la naissance et la mort, il y a ce flot de sensations (ah, l'amour!) et d'expériences de vivre au XXe siècle ou à une autre époque. Les adultes renoncent parfois à leurs rêves, les parents se sacrifient pour leurs enfants, et ces derniers finissent par reproduire les comportements de leurs aînés. La roue tourne lentement, apportant avec elle des changements souvent bénéfiques.
Dommage que le long métrage ne se soit pas concentré sur la famille Young (« jeune » en français, clin d'oeil facile au sablier du temps qui s'écoule inlassablement). Il débute plutôt avec des dinosaures afin de montrer l'évolution de l'humanité. Le désir de jouer dans les plates-bandes du chef-d'oeuvre The Tree of Life est grand, même si ce procédé s'apparente davantage à un générique des Simpsons. De la principale trame narrative, il y aura des détours constants et redondants ente les époques, notamment vers une nation autochtone, un couple d'hurluberlus et une famille afro-américaine du XXIe siècle. Une quantité incroyable de personnages qui ne servent strictement à rien, rappelant seulement le poids du passé et les promesses du futur.
De quoi enlever du temps précieux à la famille Young, qui n'existera jamais réellement à l'écran. Au lieu de prendre son temps afin de les connaître réellement, le scénario privilégie l'anecdote, changeant constamment d'années plutôt que de creuser moindrement leur psychologie et leur complexité. Après avoir exploré un demi-siècle de l'histoire américaine à travers Forrest Gump (et une existence à rebours dans The Curious Case of Benjamin Button qui reprenait exactement le même schéma narratif), le scénariste Eric Roth s'attaque à plus grand que lui en tentant de palper l'esprit d'un lieu. François Girard s'était déjà cassé les dents avec Hochelaga : Terre des âmes et l'histoire se répète ici.
Sauf en de rares exceptions (comme Contact et Cast Away), ce n'est pas la trame dramaturgique qui intéresse le cinéaste Robert Zemeckis, mais le désir de pousser toujours plus loin la technologie. C'est ce qu'il a fait avec Who Framed Roger Rabbit, The Polar Express et autres Beowulf. Après quelques retentissants échecs récents (The Witches et une énième variation de Pinocchio), la prémisse de Here tombait dans ses cordes. Il ne recule ou n'avance plus dans le temps avec une Delorean comme dans ses films cultes Back to the Future. Il n'a besoin que d'un plan fixe d'une pièce - ici le salon d'une maison - qu'il fait évoluer en superposant des images. Les époques se mélangent allègrement, tandis qu'un montage s'applique à lier les scènes selon des motifs divers. Pour la puissance du hors champ, on repassera. Un tour de force technique, qui se fait évidemment au détriment du facteur humain.
La distribution tente de se plier à ces choix esthétiques. Cela se passe plutôt bien du côté des aïeux interprétés par Kelly Reilly et surtout Paul Bettany, qui arrive à émouvoir lorsqu'il parle de ses années à la guerre. C'est déjà plus difficile pour Tom Hanks et Robin Wright, qui changent continuellement d'âge selon la scène. Une technologie qui n'a toujours pas fait ses preuves (c'est tout de même moins pire que dans The Irishman), handicapant grandement les comédiens. Le cinéphile qui a grandi avec Tom Hanks ne retrouvera en rien le faciès de la star de Splash et de Big.
À force de rappeler que le temps passe vite, Here donne ironiquement l'impression de perdre son temps devant ce film. Prometteur mais inabouti, profondément superficiel malgré ses intentions démesurées, l'ensemble s'apparente à un nouvel exercice de style de la part de son réalisateur, qui est plus intéressé à développer une maison peuplée de fantômes (c'est sans doute normal pour le créateur de What Lies Beneath) qu'à s'intéresser aux vivants. Quand il le fait, c'est en forçant la dose du sentimentalisme, musique mélodique à l'appui, sans oublier de faire la morale. Le tout se terminant par une scène plagiée sur la finale de Forrest Gump, modèle évident de cette production. La magie n'opère toutefois pas de la même façon.