Mel Gibson est en train de revenir dans les bonnes grâces du septième art après une décennie d'errance liée à des propos et des comportements répréhensibles. Alors qu'il retrouve des rôles potables devant la caméra (notamment dans Blood Father, même si le film n'était pas à la hauteur de son talent), on assiste également à son retour en tant que réalisateur, et ce, dix années après son décevant Apocalypto.
Hacksaw Ridge risque d'ailleurs d'impressionner plusieurs personnes à Hollywood, autant dans sa façon de faire beaucoup avec un budget raisonnable que dans son traitement édifiant où la fibre patriotique est constamment titillée. Cette histoire vraie célèbre les exploits de Desmond T. Doss, un soldat américain adepte de la non-violence - il a toujours refusé de tuer ou de porter une arme - qui a secouru et soigné plusieurs de ses camarades pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le développement du récit est pratiquement identique à celui de Braveheart. Tout commence à l'enfance, au sein d'une relation marquante avec le père et pouf c'est l'épiphanie, les raisons qui poussent notre héros à défendre son entourage, l'entraînement, les combats, etc. Là cessent les comparaisons entre ces deux créations, car autant le chef-d'oeuvre de Gibson demeure inoubliable plus de 20 années après sa sortie, autant Hacksaw Ridge n'est pas faite de la même étoffe.
Ce nouveau long métrage souffre d'une trop longue entrée en matière qui s'échelonne sur près d'une heure. Établir les personnages et leur psyché est une excellente idée, sauf qu'il faut le faire de façon conséquente. En plongeant dans la romance la plus quétaine possible entre le protagoniste et sa belle de service, le cinéaste concocte une sorte de Pearl Harbor qui est presque aussi indigeste que la version de Michael Bay. Pauvre Teresa Palmer qui doit incarner ce rôle ingrat! Surtout que la majorité des acteurs masculins ont de la véritable matière à jouer. C'est le cas de Vince Vaughn qui est médusant en sergent exigeant, de Sam Worthington qui surprend constamment, du toujours excellent Hugo Weaving et d'Andrew Garfield qui peut enfin abandonner son costume de Spider-Man sans se retourner. Le comédien offre enfin une performance adulte et il est tout à fait à l'aise entre le jeune premier innocent et celui plus courageux qui n'a peut-être pas toute sa tête.
Le film devient vraiment intéressant lors des séances d'entraînement qui ne manquent pas d'humour et, surtout, lorsque l'action se transporte en sol japonais où les affrontements font rage. C'est là que Mel Gibson est véritablement dans son élément en terme de metteur en scène. Il excelle dans les séquences de testostérone et il offre des moments spectaculaires en limitant les fautes de goût (comme ce lance-flamme qui semble provenir tout droit de Lethal Weapon). La chaleur monte et son souffle devient épique, n'épargnant rien ni personne sur son passage.
C'est cependant regrettable que sa charge soit aussi lourde, aussi peu subtile. Tout est blanc ou noir dans cette missive, avec cette conclusion qui n'est jamais trop loin de l'oeuvre de propagande. La musique envahissante tente tellement d'élever les enjeux qu'elle finit par faire sourire au lieu de provoquer de la tension ou de l'émotion. C'est le cas par exemple vers la fin où Desmond prend soin - et seul - d'hommes qui sont tombés au combat alors que l'ennemi est encore dans les environs. Ce qui débute dans l'horreur vive se mute dans sa durée en instant de comédie involontaire, similaire à celle où Forrest Gump retourne sans cesse chercher des compagnons qui sont blessés et abandonnés. Il est également possible de se questionner sur la légitimité des messages soulignés. Prôner la non-violence en empruntant des moyens violents? On n'a sans doute pas le choix en temps de guerre, quoique Gibson utilise la même approche (avec moult ralentis) que dans The Passion of the Christ en stylisant et glorifiant ce qui arrive et en multipliant encore et encore les excès barbares.
Mel Gibson n'évite pas le sirop collant en parlant de foi. Kitch et simpliste, Hacksaw Ridge n'en demeure pas moins un retour en force pour l'ancien paria, qui n'a jamais été aussi à l'aise que dans l'action et la violence, éclatante au demeurant. Il ne faut seulement pas comparer cet objet divertissant aux films de guerre beaucoup plus aboutis offerts par Spielberg, Malick et Eastwood.