À un certain moment, dans Civil War, le personnage de Lee (interprété par Kirsten Dunst), une photographe de guerre dont la réputation n'est plus à faire, explique qu'en rapportant les images aussi dures que confrontantes des conflits étrangers, elle espérait mettre en garde ses compatriotes de ce qui pouvait leur pendre au bout du nez s'ils venaient à commettre les mêmes erreurs.
Comme le legs de sa protagoniste, la nouvelle vision apocalyptique que nous propose Alex Garland (28 Days Later, Ex Machina, Annihilation) parle d'abord par ses images.
Des munitions se perdant dans le ciel nocturne; des cadavres pendus au-dessus des routes de l'Amérique; des familles ayant dû tout laisser derrière elles; un hélicoptère écrasé au milieu du stationnement d'un centre d'achats désaffecté, des problèmes de ravitaillement de toutes sortes...
Bref, des images que la population occidentale a davantage l'habitude de voir dans un bulletin de nouvelles qu'au coeur de son quotidien.
Il fallait évidemment un certain culot pour proposer une telle oeuvre au cours d'une année d'élection présidentielle, et un goût assumé pour la provocation pour s'adresser de la sorte à une nation qui n'avait pas été autant divisée depuis longtemps sur les plans social, politique et idéologique.
Le premier coup de maître d'Alex Garland, c'est de passer par un quatuor de journalistes pour naviguer à travers ces états désunis, où les endroits sûrs sont de moins en moins monnaie courante.
Civil War est politique, car il évite justement de faire de la politique.
Vous ne saurez jamais vraiment pourquoi les États-Unis sont entrés dans une nouvelle guerre civile. Vous ne saurez pas non plus si vous devez prendre pour un des partis ayant décidé de monter au front ou pour l'ordre établi, même si Garland mentionne ici et là quelques flammèches qui n'ont pu que contribuer à mettre le feu aux poudres.
Le groupe se colle aux différentes factions en demeurant impartial, n'étant intéressé que par la nouvelle et les images rapidement envolées qu'il peut tirer de chaque situation. Et le réalisateur tire constamment profit de cette désorientation pour capter pleinement l'attention du spectateur, le plaçant dans une quête de repères constante.
L'aspirante photographe Jessie (Cailee Spaeny, révélée l'automne dernier dans le Priscilla de Sofia Coppola) et Lee se retrouvent aux opposés du spectre d'une même carrière. Lee a été usée par les horreurs dont elle a été témoin, et les traits tirés et le regard vitreux de Dunst face aux situations les plus dramatiques sont le parfait reflet de tout ce qu'elle a pu voir et vivre. De son côté, Jessie en est à ses premières armes, et son parcours l'amènera à laisser de plus en plus ses émotions de côté, et à se diriger instinctivement vers la nouvelle en prenant conscience de la responsabilité qu'elle a décidé de prendre sur ses frêles épaules.
Le film en vient d'ailleurs à flirter avec l'horreur, prenant la forme d'un Texas Chainsaw Massacre à grande échelle dans lequel chaque recoin trop tranquille, chaque baraque isolée, est susceptible d'abriter des individus ayant été poussés dans les recoins les plus sombres et sinistres de leur humanité.
Le tout culmine sur une ultime séquence de guerre aussi sidérante qu'assourdissante, alors que la balance du pouvoir n'a jamais été plus en jeu.
C'est dans ce contexte où l'Amérique pourrait tomber à tout moment que Lee perd finalement le contrôle d'elle-même, s'écroulant de tristesse et d'effroi alors qu'elle se retrouve à un point de non-retour. Une séquence remarquable dont Garland illustre l'escalade avec une force de frappe hallucinante, jusqu'à ce court échange avant un dernier coup de feu extrêmement lourd de sens.
Civil War va ainsi beaucoup plus loin que l'évidente transposition des horreurs d'ailleurs à l'intérieur d'un cadre plus familier. En demeurant volontairement vague sur les grandes lignes de sa prémisse, Alex Garland met l'emphase sur un monde brisé et meurtri, où le frère d'hier est devenu l'ennemi d'aujourd'hui.
Avec le temps, les motivations de certains sont devenues floues, et la plus grande peur est, effectivement, les débordements que pourraient un jour entraîner notre incapacité à dialoguer avec une personne ne répondant pas à tous les critères pour être autorisée à entrer dans notre bulle devenue beaucoup trop confortable.
Le portrait est, certes, extrême, mais dans une société aussi à cran, où les réactions excessives sont quotidiennes, où l'identité est une question de plus en plus individuelle et de moins en moins collective, le présent scénario ne paraît malheureusement plus tant tiré par les cheveux.