Même à la veille de sa sortie, le mystère entourant Gérontophilie est opaque. De quoi est fait ce film qui ne ressemble à aucun autre? Son réalisateur, Bruce LaBruce, est surtout connu pour ses oeuvres underground proposant une représentation audacieuse et provocatrice de la réalité homosexuelle; il n'est toutefois pas un cinéaste dont l'oeuvre attire régulièrement l'attention sur la scène mondiale du cinéma (pas vraiment au Québec non plus, quoique son film est tourné et se déroule à Montréal); Gerontophilia a pourtant fait le tour du monde (tandis que sa sortie ici était repoussée de nombreuses fois). La signature nous est également peu familière, surtout que ce film semble marquer une cassure dans l'oeuvre du cinéaste canadien. De plus, le sujet est inédit : Gérontophilie raconte l'histoire d'un jeune homme qui tombe amoureux d'un vieillard, un couple qu'on voit rarement au cinéma.
On a donc affaire à un projet unique et marginal, du moins en apparence; LaBruce mise certainement sur cette marginalité pour se démarquer. Toutefois, de nombreux problèmes sérieux, qui vont d'interprètes maladroits à une réalisation sans envergure, minent la crédibilité et l'efficacité du film qui, au-delà de son observation originale d'un couple vraiment inhabituel, reprend des enjeux beaucoup moins marginaux (nommément, dans le troisième tiers, une jalousie incongrue narrativement parlant). De même, les thèmes du traitement des aînés et de la fuite en voiture sont assez convenus, alors que la réalisation reprend des clichés du cinéma dit « marginal » sans véritable inspiration (effets stroboscopiques, musique, ralentis...).
Les interprétations très inégales des comédiens sont pratiquement fatales au film, le malaise étant si généralisé qu'on doit supposer un manque de direction, surtout en ce qui concerne les acteurs secondaires. Pier-Gabriel Lajoie s'avère assez convaincant malgré tout, lui qui doit composer avec un personnage aux désirs complexes qui sont illustrés avec un grand souci d'économie (le film fait tout juste 82 minutes, ce qui ne l'empêche pas de paraître long), lors de nombreuses séquences elliptiques visant à définir le personnage. C'est d'autant plus effarant que le personnage change si profondément lors du dernier acte et qu'on a l'impression persistante de ne jamais l'avoir compris.
L'aspect artisanal du long métrage est aussi franchement dérangeant. Au cinéma, particulièrement au Québec, la question du budget et de l'économie de moyens est récurrente, mais les raccourcis préconisés par le réalisateur (on pense surtout ici à une scène de chute dans l'escalier) sont régulièrement risibles. Difficile, dans ces conditions, d'adhérer entièrement à la proposition, car l'univers ici créé est constamment remis en doute, ce qui nous empêche de nous concentrer sur les personnages et sur ce qu'ils vivent. En contrepartie, Walter Borden propose un M. Peabody attachant quoique lui aussi limité par le contexte parfois un peu figé des lits d'hôpitaux et des comptoirs de restaurants.
Une fois Gerontophilia terminé, il reste cette impression qu'on est passé à côté de l'histoire, sans pour autant avoir perdu son temps... Étrange phénomène, sans doute lié au troisième acte incongru qui s'éloigne des thèmes importants du long métrage pour forcer un dénouement un peu prévisible. Il persiste toutefois un enthousiasme certain, qui découle sans doute de l'aspect inédit du film de Bruce LaBruce.