En 2015 sortait dans l'anonymat Les démons, une oeuvre puissante et saisissante sur les peurs de l'enfance. Un film immense qui mérite absolument d'être redécouvert, seulement pour se rappeler que notre cinéma est capable d'audace.
Après avoir fait la tournée des festivals où il a remporté un beau succès (dont la Louve d'or au Festival du nouveau cinéma de Montréal), le plus récent long métrage de Philippe Lesage prend enfin l'affiche et il est fait du même bois. Celui où une sensibilité exemplaire et une maîtrise totale du médium permettent une plongée nécessaire dans la psyché humaine.
Genèse s'attarde cette fois à la naissance des amours, parfois aveugles, à ces pulsions de vie où le désir est total. Pas surprenant que l'ensemble se déroule à l'adolescence, cet âge des possibles qui n'est pas encore totalement corrompu par la « sagesse » et « l'expérience » adulte. Naïveté, intensité, authenticité et fébrilité se mélangent au sein d'êtres en constante évolution et sans méfiance, qui n'ont pas peur de se donner vraiment afin de vivre pleinement et réellement.
Cette joie des premières fois, du sentiment amoureux et de la fusion avec l'autre n'est évidemment pas sans conséquence. Entre souffrance, rejet et bien pire encore, les jours sombres ne sont jamais bien loin de ceux plus cléments. L'amalgame entre beauté et laideur se succède constamment, amenant avec lui des séances de liberté totale (la danse) et quelques cauchemars terribles, de l'humour qui fait mouche et des drames à hanter l'âme. Les deux histoires imbriquées l'une dans l'autre agissent ainsi en miroir, passant de l'intime au public, du jour à la nuit. Avant de se terminer à la toute fin avec un joli coda qui retourne aux sources - cette fameuse Genèse - de l'amour, de ses fondements les plus vertueux, en renouant avec le jeune héros des Démons qui a évidemment grandi.
Le cinéphile reçoit ainsi un opus généreux de 130 minutes, parfois répétitif, mais toujours intéressant, dont les nombreux dialogues un brin trop écrits sont rendus crédibles par d'excellents comédiens. Théodore Pellerin est partout depuis une année et c'est ici qu'il trouve son meilleur rôle (désolé Chien de garde). Le jeune acteur est un véritable plaisir à voir jouer, alors que son charisme naturel ne l'empêche pas d'être touchant et vulnérable. L'intériorité de son personnage complexe n'a d'égal que celui défendu par Noée Abita. Celle qui a été révélée à l'écran dans le vibrant Ava offre une performance tout aussi physique et déchirante, bien que très différente. Le duo est entouré de comédiens talentueux, dont la renommée n'entache pas trop la crédibilité des individus à défendre.
Ce qui élève ce récit d'initiation dont la matière première n'est pas nécessairement inédite ou même originale est sa fouge cinématographique. La photographie très Nouvelle Vague apporte un charme certain. Tout comme la musique extrêmement mélodique qui reste longtemps en tête. Le montage organique saute allègrement d'un destin à l'autre, alors que la force des zooms ajoutée aux plans plus longs que coutumiers rappelle les documentaires du cinéaste, cette essence salvatrice de la vérité. Avec Genèse, Philippe Lesage propose rien de moins qu'une synthèse esthétique et thématique de ses précédentes créations, notamment de Laylou et de Copenhague A Love Story.
Foisonnant de vigueur et d'émotions, ce film arrive constamment à sublimer sa banalité et ses conventions par la précision de son écriture, de ses élans formels et de son interprétation. Après La grande noirceur, Impetus, Une colonie et Répertoire des villes disparues, 2019 accueille une autre fiction québécoise de grande qualité. Cela s'enligne déjà comme une année record.