Eric Elmosnino incarne Lucien Ginsburg, aka Serge Gainsbourg, aka Gainsbarre, dans un film biographique d'un bédéiste qui n'avait jamais fait de cinéma (Joann Sfar, agréablement créatif), décrit comme un conte, avec Laetitia Casta (divine) dans le rôle de Brigitte Bardot, Anna Mouglalis (intimidante) dans celui de Juliette Gréco, Lucy Gordon (démunie, mais c'est bien) en Jane Birkin et Sara Forestier (gamine) dans les robes yé-yé de France Gall. Enrobé d'un charme parisien suranné et d'une touche de jazz, voilà une fantaisie sur Ginsburg, aka Gainsbourg, aka Gainsbarre, qui a la fraîcheur de l'inexpérience et la rigueur d'une biographie. Joli mélange, qui s'étire un peu trop cependant.
Après une enfance passée dans Paris pendant l'Occupation allemande, le jeune Lucien désire devenir peintre. Mais c'est au piano qu'il excelle, et c'est là qu'il connaîtra d'abord le succès comme auteur-compositeur, puis comme interprète. Engagé par les plus grandes chanteuses de son époque (France Gall, Juliette Gréco, Brigitte Bardot), il écrit des chansons pour elles et en tombe amoureux. Jusqu'à la rencontre marquante de Jane Birkin, qui changera sa vie à jamais. Serge Gainsbourg devient le mythe Gainsbarre, un provocateur alcoolique et isolant.
Si on avait un jour l'intention de faire un film sur Serge Gainsbourg, il fallait être capable d'oser. Le personnage, sa légende, ses apparitions télévisées et ses chansons lascives controversées ont indéniablement marqué leur époque, autant musicalement que socialement. Premier défi : trouver un comédien assez bon fou pour l'incarner. Mission accomplie : non seulement la ressemblance est frappante, mais Eric Elmosnino maîtrise avec autant de talent la dualité du personnage - un dandy malpropre, un pudique irrévérencieux - que son désarroi face aux femmes qu'il rencontre.
Le deuxième défi, il est justement là : les femmes. Personne n'est Brigitte Bardot sauf BB elle-même (et encore!); il fallait pourtant qu'elle soit là. Idem pour Birkin, Gréco, etc. Toutes ont leur importance dans le cheminement du chanteur (et le film s'appuie sur elles avec grand talent pour jalonner son cheminement) et c'est à travers elles qu'il existe vraiment. Cela donne plusieurs scènes sublimes, qui mélangent efficacement les atmosphères, et qui saisissent magnifiquement la beauté des femmes. « Est-ce qu'il y a des croissants? »
Troisième défi : la musique. Les rythmes de Gainsbourg et son amour des (jeux de) mots sont traités avec sérieux et curiosité, ce qui fait qu'on a autant de plaisir à voir les chansons naître dans le film qu'à les entendre dans la trame sonore. Les deux sont traitées avec le même talent, inédit chez le jeune réalisateur. Le film, qui ne prétend pas « raconter » la vie de Gainsbourg, se sert d'anecdotes pour créer un personnage de cinéma qui semble si bien saisir l'essence de son modèle. C'est là que la magie opère le mieux.
Dommage que le film s'étire inutilement à certains endroits, ce qui le force à précipiter son dénouement sans la minutie avec laquelle il s'était appliqué jusqu'alors. Dommage aussi que le personnage fantaisiste de la « Sale gueule » soit négligé dans la deuxième partie; il permettait, avec élégance et inventivité, d'éviter que Gainsbourg (vie héroïque) ne devienne qu'une simple biographie filmée. Heureusement, le dommage est mineur et l'expérience proposée par le film vaut amplement la vision romancée du chanteur. Le cinéma, c'est toujours romancé. Gainsbourg (vie héroïque) semble dire que la vie devrait l'être aussi.