Il y avait longtemps que nous n'avions pas eu droit à un bon film de guerre. Vous savez ce genre de films dans lesquels vous avez l'impression d'être au front avec les soldats, de ressentir leur peur, leur colère. Fury est exactement ce genre de production oppressante qui nous cloue sur notre siège et nous amène à partager les émotions des protagonistes. Au départ, nous sommes comme ce jeune dactylographe envoyé aux lignes pour manque d'effectif; ignorant et vertueux, mais plus l'histoire déboule plus nous acquérons sa rage pour les Allemands, intrinsèque et violente. Un film qui arrive à nous transmettre sa fureur avec autant de doigté que Fury mérite qu'on étudie sa méthodologie et ces sentiments renfrognés qui habitent les hommes et qui sont mis à jour par le cinéma.
Fury est un huit clos en mouvance. Il arrive donc à nous ébranler par sa puissance dramatique comme un huit clos sait si bien le faire, mais nous entraîne aussi sur le champ de bataille parmi les amoncellements de corps démembrés et les soldats estropiés hurlants. D'ailleurs, Fury démontre une violence très graphique. Il ne nous épargne de rien (ou, du moins, il nous amène à nous faire croire qu'il ne nous épargne de rien). Le film veut démontrer l'horreur de la guerre, l'horreur d'une guerre presque terminée, mais toujours d'une brutalité insensée. Lors de certaines séquences, on peut même être en mesure de sentir l'odeur putride de la mort et la douleur aiguë des balles qui transpercent les militaires épuisés.
La direction photo est en partie responsable de cette éloquence. Les couleurs, la luminosité, la texture, tout est en place pour engendrer des émotions et une forme de compassion. Bien d'autres éléments techniques, comme le montage, la réalisation, la musique, participent aussi à cette démarche d'identification. Les acteurs, aussi, de par leur jeu sensible, convainquent le spectateur et l'ébranlent. Brad Pitt prouve à nouveau sa valeur. Malgré l'imperturbabilité de son personnage, il parvient à nous persuader de sa bonté. Logan Lerman est celui qui porte le film sur ses frêles épaules. Il est le moteur qui engendre l'identification et qui permet au public d'adhérer à cette histoire et de s'y projeter. Les quelques autres acteurs qui forment la distribution sont aussi d'une véracité déroutante. Sans qu'ils n'aient à s'exprimer, on comprend rapidement que ces hommes ont été brisés par la guerre et qu'elle les a dépourvus depuis longtemps de leur humanité. On finit par s'attacher à chacun d'eux, même aux plus pervers et sournois.
Il n'y a peut-être que la conclusion de Fury qui déçoit. On ne peut s'empêcher de croire qu'on a voulu faire une fin mielleuse, mais une finale de ce type dans un film aussi fiévreux laisse pantois, et un peu déçu. Par contre, il faut se rappeler des frissons engendrés, de la rage, de la peur, de l'exaspération, de la folie. Si on laisse Fury nous transporter, il saura irrémédiablement nous ébranler et très certainement nous troubler.