Une magnifique distribution féminine s'active en vain dans Frontières, un rare film québécois qui mélange drame psychologique et surnaturel.
Le retour à la terre était souhaité pour le cinéaste Guy Édoin qui avait offert de superbes courts métrages et le magnifique premier long Marécages, avant de se perdre à la ville avec des efforts plus quelconques comme Ville-Marie et Malek. C'est là qu'il se trouve dans son élément naturel, à filmer les champs, les animaux et la forêt.
Le réalisateur ne tarde d'ailleurs pas à surprendre avec sa mise en scène de métier, aux cadres soignés et élaborés. Sa composition des couleurs étonne, tout comme sa façon de camper un univers oppressant, aux ambiances tendues et à l'atmosphère inquiétante. C'est par sa matière cinématographique qu'il arrive à transmettre sa passion évidente pour la ruralité.
Le scénario gâche malheureusement la sauce. Le récit qui alterne entre la quête du père et les traumas du passé se resserre autour d'une famille qui doit apprendre à s'unir si elle veut un jour soigner ses plaies. Suite à une terrible épreuve, Diane (Pascale Bussières) s'isole sur sa ferme avec sa fille (Mégane Proulx), perdant de plus en plus contact avec la réalité. Ses deux soeurs (Christine Beaulieu, Marilyn Castonguay) viennent à sa rescousse en demandant de l'aide à leur mère (Micheline Lanctôt).
L'héroïne possède-t-elle toute sa tête ou se laisse-t-elle envahir par ses idées de persécution? Car elle est convaincue que son défunt paternel hante sa maison. La frontière semble de plus en plus poreuse entre le monde des vivants et celui des morts. Surtout quand le script ose le fantastique en lorgnant vers l'univers de M. Night Shyamalan. Et que le suspense inopérant cherche à prendre toute la place, semant de fausses pistes factices comme l'évasion de deux prisonniers à la frontière entre le Canada et les États-Unis. Pourquoi ne pas avoir osé jouer la carte des migrants, ce qui aurait donné une touche sociale et politique à l'ensemble?
Si Frontières ne tarde pas à piquer la curiosité, il devient de plus en plus incohérent à mesure que le film relève son jeu et ses enjeux. Son symbolisme de pacotille ne convainc guère, l'émotion reste en retrait et les frissons manquent à l'appel. Les quelques surprises, prévisibles au demeurant pour quiconque a pu voir des productions nettement plus maîtrisées comme A Tale of Two Sisters et L'ange gardien, sont accompagnées d'une narration surexplicative afin de ne perdre aucun spectateur. Puis il y a ces dialogues lourdement écrits, risibles par endroits, qui sont tout sauf naturels. Entre le « Maudit monde de la ville, ça se pense partout chez eux » et « C'est pas de ma faute, on n'a jamais été proche », il est plutôt difficile de croire à ce qui arrive.
Le casting de grande classe ne change rien à la donne. Les si douées Christine Beaulieu, Marilyn Castonguay et Micheline Lanctôt sont coincées dans la peau de personnages élémentaires qui sont réduits à de simples fonctions superficielles. Entre la méditation de la femme qui trompe et celle qui est trompée, la réflexion ne va pas très loin. Seule Pascale Bussières est gratifiée d'un rôle digne de ce nom. La comédienne excelle, comme toujours, à la fois dans son intériorité et à véhiculer des émotions complexes. Le quatuor a toutefois rarement la chance de briller, si ce n'est dans une scène où il brûle les objets d'un salaud.
Frontières aurait tant aimé être un thriller de l'âme, où la souffrance d'antan se règle à coup de résilience familiale. Sauf que malgré tout le talent qui figure devant et derrière la caméra, le film ne lève jamais. Pire, il se dégonfle et laisse un goût amer en bouche : celui d'avoir saboté une occasion unique de tâter le genre pour créer une oeuvre qui sort des sentiers battus.