Wes Anderson célèbre ses 25 ans de métier avec The French Dispatch, un bonbon doux et sucré qui se savoure avec délectation.
Pour son dixième long métrage, le créateur de Moonrise Kingdom propose une lettre d'amour sincère au métier de journaliste. La nouvelle édition d'un magazine américain (l'inspiration est clairement le New Yorker) qui possède une antenne dans la petite ville française Ennui-sur-Blasé est en branle et le cinéphile se voit plonger dans trois articles qui y seront publiés.
Comme souvent dans les récits à sketchs, le résultat est inégal et celui-ci ne fait pas exception, débutant en force pour voir son charme s'étioler par la suite. Mais ce type de démonstration permet par l'humour, la légèreté et l'absurdité d'explorer des sentiments plus sombres et profonds comme l'aliénation, la solitude et le souhait de se dérober aux codes établis. Tout cela est possible par l'entremise d'un peintre emprisonné, d'un joueur d'échecs contestataire et d'un chef cuisinier qui est mêlé à un kidnapping. Avec en prime une introduction ludique présentant l'équipe d'édition et de rédaction, un tour d'horizon des nouvelles locales (le traditionnel Talk of the Town) et une conclusion étonnamment émouvante, qui rappelle l'importance d'une presse libre et variée.
La mise en scène adopte ce format journalistique - sauts, ellipses, ruptures, condensé, portrait, voix hors champ, commentaires sur l'épreuve, etc. - avec maestria, y intégrant l'immense flair visuel d'Anderson. Sa réalisation aura rarement été aussi vivante et flamboyante, débutant en couleurs pour se poursuivre en noir et blanc, déployant sa caméra observatrice qui finit par prendre part à l'action. Sans oublier une excursion vers le théâtre et la bande dessinée. Ajoutons à cela la musique toujours soignée et trépidante d'Alexandre Desplat et on obtient du cinéma survitaminé, parfait pour la période froide et morne de l'année.
Les événements se déroulent si vite à l'écran qu'il faudra ouvrir grand les yeux pour ne pas rater un détail ou un caméo. Tout le monde veut tourner avec le cinéaste américain et s'il maintient une famille de comédiens, c'est pour mieux l'élargir. Évidemment, il est légitime de se sentir floué devant les Christoph Waltz, Saoirse Ronan, Cécile de France et Elisabeth Moss qui ne font que passer. Mais lorsqu'on peut compter sur Bill Murray, Owen Wilson, Tilda Swinton, Benicio del Toro, Léa Seydoux, Adrien Brody, Frances McDormand, Timothée Chalamet, Jeffrey Wright, Mathieu Amalric, Edward Norton et autres Willem Dafoe, c'est plutôt difficile de ne pas en avoir pour son argent.
Même en mode mineur, en suivant un schéma plus limité et décontracté, il faut être de mauvaise foi pour ne pas prendre son pied avec cette production aussi brillante qu'éphémère, qui peut tourner à vide, mais qui séduit amplement, seulement dans sa façon de rendre hommage à la France et à sa culture, de Tati à la Nouvelle Vague. The French Dispatch ne rivalise en rien avec les grandes fresques de son auteur que sont The Royal Tenenbaums et The Grand Budapest Hotel. Ce n'est toutefois pas dans ses intentions et c'est bien aussi, faire de l'art pour de l'art, dans la simple ambition de divertir avec intelligence, virtuosité et sensibilité.