« Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s'en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l'écoute » »
- Le corbeau et le renard, Jean de La Fontaine
Les films qui figurent parmi les oeuvres sélectionnées en compétition officielle au Festival de Film de Cannes sont rarement des films qu'on pourrait qualifier d'accessibles. Foxcatcher de Bennett Miller fait partie de ces longs métrages laborieux que les Français avaient choisi de présenter sur la croisette cette année. On a déjà vu des fictions plus complexes que celle de Miller (rappelons-nous justement la Palme d'Or de 2011; The Tree of Life de Terrence Malick, que je cherche encore à comprendre), mais reste qu'il est évident que Foxcatcher n'est pas destiné à la masse. Entendons-nous, il s'agit d'un magnifique film noir, taciturne, traînant et lourd, mais il faut être conscient de ses attributs avant de le choisir comme « divertissement » du temps des fêtes.
Bennett Miller a choisi le silence comme principale ambiance sonore. Le film est rempli de non-dits douloureux et d'intentions étouffées. Il n'y a que très peu de dialogues pour nous justifier la personnalité des protagonistes et la raison de leurs actions. Le spectateur doit en déduire les grandes lignes. Évidemment, personne n'aime vraiment la surexplication inutile, mais peut-être qu'ici le public aurait aimé qu'on le prenne légèrement plus par la main afin qu'il ne s'égare pas autant dans les dédales de cette histoire en apparence assez simple, mais qui cache bien des imbroglios.
C'est principalement la performance mémorable de Steve Carell qui fait de ce film un succès. L'acteur, que l'on connaît principalement pour ses rôles comiques, impressionne dès les premières minutes. On comprend rapidement qu'il y a quelque chose qui cloche avec cet individu renfermé qu'il interprète. On n'arrive pas immédiatement à l'expliquer, mais on sait qu'il n'est pas tout à fait saint d'esprit, aveuglé par l'argent, le pouvoir, les regrets, la peur, ou un heureux mélange de tout cela. Channing Tatum, qui, pour sa part, est souvent engagé pour jouer les jeunes premiers, donne lui aussi une performance à couper le souffle. Son personnage (comme la plupart d'entre eux d'ailleurs) est un homme de peu de mots. C'est donc à travers ses gestes et par son corps qu'il nous transmet ses émotions. Il faut un comédien en plein contrôle de son art, et un réalisateur avec des capacités extraordinaires pour bien le diriger, pour arriver à livrer une telle performance. Il faut aussi mentionner la force tranquille de Mark Ruffalo, le protagoniste le plus mesuré, celui auquel le public s'identifie le plus aisément, et qui lui permet ultimement d'entrer dans cette histoire psychotique.
Quand la séquence finale arrive (il s'agit d'une histoire vraie donc la conclusion est connue de la plupart, mais j'épargnerai quand même les quelques non-initiés), il n'y a pas montée dramatique particulière. L'« acte final » est posé, puis quelques minutes après, le générique défile et les spectateurs se retrouvent déboussolés par l'enchaînement brutal des scènes et le peu de décorum qu'on leur a conféré. Mais c'est là toute la force de ce film insolite. Miller a réussi à insuffler à son film une chose obscure qui arrive à ébranler son public pendant de longues heures après le visionnement. Il y partage un mal difficile à définir, un mal qui nous ronge jusqu'à la moelle et qu'on ne comprend pas.
Donc, comme je m'évertuais à l'expliquer en ouverture, Foxcatcher est brillant, mais peut difficilement être qualifié de récréatif. Il s'agit là d'un film d'auteur créatif, poétique, fort, mais étonnamment provocant et perturbateur. Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute...