Le polar français a eu son heure de gloire avec ses maîtres Clouzot, Becker et Melville. Il n'y a toutefois rien eu de marquant au 21e siècle, si ce n'est le magistral Un prophète de Jacques Audiard et les tentatives pas toujours fructueuses d'Olivier Marchal. C'est sur ce terrain déjà fragile et miné que prend l'affiche l'inquiétant Fleuve noir.
Le héros est l'archétype même du genre: un flic (Vincent Cassel) bourru, désillusionné et alcoolique. En enquêtant sur la disparition d'un adolescent, ses soupçons se portent sur un voisin (Romain Duris) qui n'a peut-être pas toute sa tête.
Librement adapté d'un roman de Dror Mishani, le long métrage nage dans les clichés du film noir en tentant de s'en éloigner. Les lieux communs implosent graduellement à mesure que le récit passe de l'enquête officielle aux tragédies personnelles. Trois familles seront affectées par ce maelström de violence psychologique où les meilleures intentions des adultes ne donnent pas toujours les résultats escomptés.
Le cinéaste Érick Zonca renoue avec les éléments du conte d'une manière plus satisfaisante que son douteux Julia. Entre la ville et la forêt, l'homme derrière La vie rêvée des anges y définit des frontières poreuses, escamotées tard dans la nuit. De quoi créer une ambiance qui agit sur les nerfs. Sa mise en scène énergique permet de dynamiter les joutes verbales en y apportant du mouvement, un peu de chaos.
Cela va à ravir à Vincent Cassel, qui a remplacé Gérard Depardieu au pied levé après trois jours de tournage. Le comédien, immense, en fait encore plus que d'habitude (ce qui n'est pas peu dire!), pour le meilleur comme pour le pire. Il est cet animal obsédant qui ronge insatiablement son os, se livrant régulièrement à des séances de cabotinage. De quoi fasciner et taper sur les nerfs au même moment.
Plus subtil dans son approche est l'énigmatique individu campé par Romain Duris, trop heureux de pouvoir enfin sortir de sa zone de confort. Quelques-unes de ses présences rendent réellement inconfortable, surtout lorsqu'il décide, par la littérature, d'éclaircir le mystère. Ou de le complexifier. Le reste de la distribution, de très haut calibre (Charles Berling, Élodie Bouchez, Hafsia Herzi), offre à Sandrine Kiberlain un autre rôle en or, exigeant et déchirant.
Le brio des interprètes ne pallie toutefois pas le faible développement des personnages. Ils ne sont faits que d'une seule couche, ce qui rend leur évolution difficile, voire impossible. Et ce n'est pas en citant Kafka que cela va leur apporter une profondeur. Le scénario mécanique et invraisemblable n'est également pas là pour aider, surtout lors de la finale qui accumule les coups de théâtre ridicules.
Sans jamais être à la hauteur de ses influences (Police de Pialat, Bad Lieutenant de Ferrara), Fleuve noir palpe le thriller policier avec une certaine efficacité. On se laisse prendre au jeu malgré une trame cousue de fil blanc, et ce qui se perd en nuance est regagné en atmosphère. N'empêche que le résultat demeure en deçà du talent réuni.