Que l'on soit pour ou contre la versatilité artistique de Patrick Huard, il reste tout de même un instigateur important dans le développement du cinéma « populaire » au Québec - Bon Cop, Bap Cop, film dans lequel il incarnait le personnage principal, était la production le plus rentable de l'histoire du cinéma québécois avant d'être détrônée par De père en flic l'an dernier - et son premier long métrage à titre de réalisateur, Les 3 p'tits cochons, s'est classé comme l'oeuvre cinématographique québécoise la plus vue chez nous en 2007. Patrick Huard nous arrive maintenant avec une nouvelle comédie, sur le milieu policier cette fois, réfléchie, pertinente et habilement dirigée. Même si le scénario souffre de quelques longueurs et d'une finale paradoxale (aux limites du vulgaire cliché), le nouveau film de cet artiste polyvalent possède de grandes qualités; tant au niveau technique (l'ambiance et le montage sonore apportent une sensibilité inestimable au film) qu'au niveau dramatique (les personnages qu'incarnent Legault et Lemay-Thivierge sont crédibles, vulnérables et, bien entendu, interprétés avec brio).
Thomas et Jean-François, un policier de Montréal et un relationniste, sont assignés à un travail de surveillance pour avoir tous deux commis des bavures dans l'accomplissement de leurs fonctions. Alors que Thomas tente de gérer les affreux maux de tête qui ne cessent de le harceler, Jean-François souffre de crises de panique qui l'empêchent de parler en public et donc d'affronter ses obligations. Bientôt, il n'y a que dans ce petit appartement miteux devant les écrans d'ordinateur qu'ils se sentent bien. Lorsque les deux hommes aperçoivent de l'autre côté de la rue un bandit impliqué dans le scandale des commandites, ils décident le surveiller pour tenter de retrouver l'argent qu'il cache encore - ils en sont persuadés - au Québec.
Une part importante de l'émotion que tente de nous transmettre cette oeuvre parfois comique, parfois poignante, passe par la musique, l'environnement sonore. Chacun des personnages principaux, qui souffrent tous de problèmes psychologiques entraînant des contraintes physiques, nous est dépeint d'abord grâce à des sons, des onomatopées diverses (le policier qui endure d'affreux maux de tête est asservi par un oppressant vacarme alors que celui qui éprouve de l'anxiété est tyrannisé par des bruits inquiétants). Le jeu des acteurs y est également pour beaucoup dans la crédibilité des personnages, la vraisemblance de leurs tourments. Claude Legault fait passer le public par une gamme d'émotions diversifiées; de la rage à l'attachement en passant par la compassion et la tristesse, tout comme son collègue Guillaume Lemay-Thivierge, qui nous présente un être tendu, dévoré par l'anxiété, par la vie.
La réalisation de Patrick Huard, entre l'expérimentation et le conservatisme, réussit à transporter le film à un niveau supérieur, au-delà de la simple histoire de flics et de quête existentielle pour la miséricorde. Elle appuie fidèlement un scénario brillant et réfléchi qui, malgré quelques développements inutiles et laborieux, dévoile avec pudeur l'existence de trois hommes tourmentés. L'épilogue du récit vient par contre ternir cet essai rigoureux sur les faiblesses humaines; un dénouement facile, stéréotypée, qui promet - bien trop aisément - l'absolution et la prospérité.
Huard prouve une nouvelle fois que nous n'avons rien à envier aux Américains. Bien sûr, le Québec est principalement reconnu pour ses films d'auteurs qui voyagent dans de nombreux festivals et remportent différentes récompenses et honorables mentions à travers le monde, mais notre cinéma « populaire » devient de plus en plus attrayant, et ce, même si nos budgets sont considérablement moindres que ceux de nos voisins du Sud.