Critiquer un documentaire est beaucoup plus ardu qu'un film de fiction. Ce ne sont pas les mêmes critères qui nous intéressent. Le jeu des acteurs ne peut pas vraiment être un argument, tout comme le scénario, qui n'est pas du tout construit de la même façon. Dans le documentaire, c'est davantage le montage qui fait office de trame narrative, qui définit le rythme et la pertinence des dialogues et des confidences des « personnages ». Dans le cas de Fermières, la finesse du montage est bien accordée avec la mièvrerie du propos. Annie St-Pierre est arrivée à produire un film pince-sans-rire qui nous permet d'entrer dans l'univers de ces femmes - pour qui coudre une chemise de nuit représente un défi éminemment important - sans prétention, ni condescendance.
Comme l'avait été Les dames en bleu (le documentaire sur Michel Louvain et ses admiratrices), Fermières établit un équilibre salutaire entre humour et mélodrame. La démission de cette femme de la tête du conseil d'administration des Cercles de Fermières, qui a consacré près de 70 heures/semaine à ses fonctions bénévolement pendant de nombreuses années, aurait pu être présentée avec complaisance, mais la cinéaste propose l'admiration et la sympathie plutôt que le jugement. On ne peut qu'être attendris par cette grand-mère qui jure préférer mourir en faisant quelque chose qu'elle aime plutôt que de mourir d'ennui chez elle.
Même si certaines situations peuvent sembler abracadabrantes pour un oeil extérieur (comme un concours de recettes où des centaines de femmes sont invitées à cuisiner un plat semblable et à l'exposer à un jury « expert », composé d'une poignée de mamies), St-Pierre fait toujours preuve d'un grand respect dans le choix de ses images et des interventions de ses locutrices. Malgré les quelques discordances évidentes entre les Cercles de Fermières (qui n'ont pas beaucoup évolué depuis leur création) et le monde contemporain, la réalisatrice tend à nous démontrer l'importance de trouver sa place dans le monde, l'importance de l'entraide et de la dévotion.
Fermières prend soin aussi de ne pas représenter qu'un seul côté de la médaille. On a souvent reproché à ces Cercles, surtout dans les années 60, à un moment où la femme s'émancipait au Québec, d'être rétrogrades et conservateurs. Annie St-Pierre révèle cet aspect plus négatif grâce à une rencontre avec une femme qui fouille dans les archives des fermières et nous présente des extraits de journaux de l'époque qui évoquent cette étroitesse d'esprit de l'association québécoise. La dame mandatée pour éplucher les documents n'est tellement pas offusquée par le manque d'ouverture des fermières de l'époque, tellement flegmatique, qu'on ne peut qu'être nous aussi détachés, et ne pas s'emporter pour des mentalités fermées qu'avaient des femmes d'une époque révolue.
Fermières n'est évidemment pas un film très excitant, mais c'est une oeuvre tendre, humaine, qui arrive à décrocher quelques sourires et à poser un baume sur le coeur de plusieurs. Un documentaire léger, mais agréable.