Les robots sont-ils plus humains que les êtres dotés de chair et de sang? Asimov a fondé sa littérature sur ce principe, Blade Runner l'a élevé en tant que probabilité et la mythique animation Ghost in the Shell a fini par le confirmer.
Ex Machina en offre un nouveau rappel. Une intelligence artificielle dotée du nom d'Ava (Alicia Vikander) doit cohabiter avec son inventeur Nathan (Oscar Isaac) et l'étranger Caleb (Domhnall Gleeson) qui doit tester ses habiletés. Entre le premier qui n'a sans doute pas toute sa tête et le second un peu mésadapté qui se pense dans Her, Ava est peut-être mieux seule que mal accompagnée. Surtout qu'il y a d'autres robots comme elle qui offrent une gamme d'émotions et de sentiments plus sentis que leurs homologues humains.
À l'instar du chef-d'oeuvre Solaris, le regard est celui de la source extérieure qui erre dans un endroit aseptisé où l'impensable est palpable. S'il n'est pas question ici d'immenses réflexions métaphysiques sur l'amour et l'environnement, l'humanité est questionnée plus souvent qu'autrement. En réadaptant le mythe de Prométhée (ou Frankenstein pour ceux et celles qui pensent que le 19e siècle représente l'Antiquité), le scénariste et réalisateur Alex Garland arrive à le remettre au goût du jour sans se perdre dans les effets de styles et de modes.
Alors que les esprits tordus de Kubrick et de Spielberg créaient de toute pièce l'incroyable univers fantasmagorique d'A.I. (cette autre histoire de robots malchanceux fortement inspirée de Pinocchio), Ex Machina se limite généralement à quelques lieux étroits qui rendent claustrophobe. Une terreur gronde en sourdine et cet effroi est bien rendu par une mise en scène alerte et une trame sonore tendue. Le budget limité oblige toute l'équipe à user d'inventivité pour tenir en haleine et faire frissonner au passage.
C'est pari gagné parce qu'il devait absolument y avoir une immense dose de cinéma dans ce récit ambitieux, mais parfois verbeux et trop explicatif, qui ne fait pas toujours dans la subtilité (le côté biblique des prénoms des personnages peut agacer). Bien qu'il s'agisse de son premier film, Alex Garland (qui a écrit Dredd et quelques longs métrages de Danny Boyle) s'avère en pleine possession de ses moyens, titillant la fibre cérébrale sans trop se prendre au sérieux. Impossible de ne pas être amusé par sa fascination pour les années 80 - qui passe par Depeche Mode, OMD et Ghostbusters - ou par cette fabuleuse et surprenante scène de danse. Il y a encore quelques scènes allongées ou inutiles, mais sa direction de comédiens en impose. Vikander séduira tout le monde sur son passage, Isaac s'établit comme un des acteurs les plus essentiels de sa génération et Gleeson finit enfin par s'affranchir de l'ombre de son célèbre paternel.
Qu'elle soit foisonnante comme dans Interstellar ou aussi sobre et épurée qu'ici, la science-fiction qui est traitée avec intelligence et respect devient un des genres les plus intéressants et stimulants du septième art. L'univers des possibles est immense et il faut seulement un peu de talent pour y laisser sa marque. Et lorsque c'est le cas, le cinéphile en prend plein la gueule. Surtout celui qui voue un culte au troublant Under the Skin avec Scarlett Johansson et au vidéoclip All is Full of Love de Björk.