Les deux propositions cinématographiques précédentes de Steve McQueen l'ont rapidement consacré comme l'un des cinéastes les plus prometteurs de sa génération. Autant Hunger que Shame démontraient à la fois une maîtrise unique de la mise en scène, une signature et une rigueur cinématographique qui rendait justice à des interprètes dédiés; en fait, il tirait de ces récits le plus émouvant en soulignant leur force interne. Cette force qui se trouve à l'intérieur du cadre, qui est intrinsèque aux récits, qui se dévoile lentement grâce au jeu et qu'il faut laisser s'épanouir lors de longs plans-séquences. Encore mieux, 12 Years a Slave s'inscrit dans un contexte fortement connoté, tout en démontrant les mêmes qualités, la même intelligence cinématographique que ces deux films exceptionnels.
Chiwetel Ejiofor est au centre de cette réussite, lui qui offre une interprétation délicate et efficace qui sera sans doute remarquée et récompensée. Son Solomon Northup, saoulé, enlevé, vendu, battu, exporté, échangé puis libéré offre à l'acteur une panoplie d'émotions et de craintes à transmettre, ce qu'il fait magnifiquement, comme le prouve la délicate et bouleversante séquence finale. Rarement aura-t-on été aussi ému, surtout par une histoire si tragique qui a quelques élans mélodramatiques habilement brimés par McQueen. On évite le déluge de bons sentiments mièvres, y préférant une rigueur humaine plus respectueuse du public et du contexte historique. Les émotions en sont donc renforcées.
Les nombreux autres acteurs présents au générique, souvent dans des apparitions très courtes, démontrent aussi une grande finesse dans leur jeu. Une finesse qui était nécessaire vu le sujet, vu le malaise que l'esclavagisme inspire toujours aux Américains et vu l'ampleur du récit. Si Michael Fassbender est toujours cet acteur intense et vibrant, malheureusement, dans certains cas, comme Benedict Cumberbatch et Brad Pitt, les comédiens ne parviennent jamais à faire oublier que l'acteur, aussi convaincant soit-il, est derrière le personnage. C'est aussi le cas de Paul Giamatti et même de Paul Dano, un acteur pourtant capable de tout jouer avec la même efficacité. Peu importe qui il joue, Brad Pitt est toujours Brad Pitt, même avec une nouvelle coupe de cheveux.
McQueen, lui, maîtrise le récit parfaitement; le rythme, les enjeux, la construction dramatique. Grâce à un montage exceptionnel qui tire le maximum de chaque scène, mêlant une caméra dynamique à un habile travail sur le temps (ellipses, ou au contraire longs plans fixes), 12 Years a Slave parvient à être puissant et émouvant en évitant d'être trop scolaire. Peut-être que le grand talent des comédiens est justement d'ancrer leur personnage dans leur époque, alors que le racisme était plus culturel, inné, que volontaire - de débats récents, au Québec, prouvent que les choses ne changent pas vraiment.
12 Years a Slave est un film puissant qui évoque des émotions fortes. Qui tire cette puissance de ses comédiens et de son contexte historique fort et évocateur, et qui est maintenu en une unité homogène crédible par un réalisateur en plein contrôle. C'est, avec La vie d'Adèle, le meilleur film de l'année.