L'art représente le salut de l'humanité dans Inside, un film de confinement qui doit beaucoup à la présence de Willem Dafoe.
Le plan était parfait. S'infiltrer dans un riche penthouse de New York pour dérober des oeuvres d'art. Sauf qu'une alarme activée par mégarde emprisonne le voleur (Dafoe) de cette cage dorée. Abandonné par ses pairs, il devra trouver un moyen de s'échapper avant que la faim, la soif, la chaleur et la folie fassent des ravages.
Cette prémisse n'est pas sans rappeler l'immense Ascenseur pour l'échafaud de Louis Malle, où un homme demeurait captif après un crime parfait. Sauf que du suspense attendu à la Robinson Crusoé, le long métrage va complètement ailleurs.
La tension de survie n'a pas beaucoup d'importance dans cet univers d'opulence où les pièces démesurées semblent isoler son protagoniste. Tourné pendant la pandémie, le récit existentiel traite de solitude, d'enfermement et d'aliénation avec une froideur presque chirurgicale. Au lieu de rapprocher les individus, la technologie finit par les éloigner, à l'image de ces caméras de sécurité qui servent d'objets de voyeurisme.
Un sentiment qui est renforcé par la mise en scène glaciale d'une beauté opaque, que viennent bercer les mélodies de John Cale et de Radiohead. La réalisation du cinéaste grec Vasilis Katsoupis (My Friend Larry Gus) happe de plein fouet par sa rigueur et son minimalisme.
Le rythme volontairement relâché évoque cette suspension du temps, ces répétitions des journées. Un exercice contemplatif de patience qui ne sera pas pour tous les appétits, mais qui contribue à l'effet recherché. Celui d'arrêter le corps pour voir comment l'esprit réagira. Pas surprenant de voir défiler autant de nature morte tant cette idée est au coeur du scénario.
Face à la déshumanisation de la société, seul l'art pourra nous sauver. Celui qui apparaît presque continuellement à l'écran, autant ses toiles que ses installations vidéos, mais surtout ces dessins qui permettent à l'antihéros de revivre malgré les ténèbres quotidiennes. Un propos salutaire à une époque trouble.
Inside aurait toutefois mérité de pousser ses thèmes plus loin au lieu de demeurer en surface, d'étoffer ses idées sans se défiler. Car l'ensemble pas toujours vraisemblable pourrait paraître ténu et même contre-productif. Par exemple, pourquoi transgresser son déroulement volontairement monotone par l'inclusion de rêves si ce n'est que pour offrir un ersatz du cinéma de David Lynch?
Puis il y a tous ces symboles et métaphores qui manquent de subtilité, comme ces écrits qui apparaissent directement à l'écran ou cette voix hors champ. Déjà il y a le penthouse, microcosme de la désintégration du monde. Mais si en plus on ajoute à cela des poissons, des oiseaux et une finale presque divine, la coupe est rapidement saturée. C'est sans compter que le personnage principal s'appelle Nemo. Oui, comme le mystérieux héros du chef-d'oeuvre Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne, qui a fini par se retirer de la société.
Il est campé par Willem Dafoe qui s'investit totalement dans ce rôle quasi muet, autant physiquement - un peu comme Tom Hanks dans Cast Away - que psychologiquement. L'acteur a toujours été très à l'aise dans ce registre restreint (pour s'en convaincre, il est toujours possible de revoir sa collaboration féconde avec le réalisateur Abel Ferrara) et il porte le film sur ses épaules. Sa façon d'embrasser peu à peu l'insanité force l'admiration, même si le résultat est tout de même moins marquant que dans The Lighthouse.
Bien qu'il finisse par tourner un peu en rond, Inside traite du monde d'aujourd'hui avec une rare acuité. Quand tout s'écroule, il restera toujours la beauté qui mérite seulement d'être cueillie.