C'est un grand film de société qui est offert à travers En guerre, certainement l'un des meilleurs et des plus nécessaires de l'année.
On n'y décrit pourtant qu'une violence régulière: celle entre les employés et leurs employeurs. Surtout lorsque les propriétaires étrangers décident de fermer l'usine afin de la relocaliser dans un pays où les coûts sont moins onéreux et les profits considérables. Une situation malheureusement trop banale dans les sociétés libérales d'aujourd'hui.
Ce qui est allègrement rapporté par les images de la télévision devient ici une oeuvre incendiaire et implacable, qui utilise le mode du documentaire et un style journalistique afin d'être plus vraie que nature. La production a été réalisée en seulement 23 jours pour conserver son côté guérilla, la plupart des comédiens sont non professionnels et ce qui semble si brut et spontané bénéficie pourtant d'un travail de mise en scène considérable qui permet d'être criant de vérité et de spontanéité.
Stéphane Brizé a déjà travaillé ainsi par le passé, sur son excellent La loi du marché. Il récidive avec une oeuvre aussi complexe que déchirante émotionnellement, alors que les protagonistes sont humiliés par les instances de pouvoir. Dans un monde où les gouvernements ne peuvent empêcher les entreprises d'agir à leur guise, ce sont évidemment les petites gens qui vont en payer. Et ces régions abandonnées à leur triste sort.
Ressuscitant le long métrage social et politique dans la tradition de celui de Wajda et de Costa-Gavras, En guerre vulgarise les enjeux sans les dénaturer. Le discours a beau paraître appuyé, il ne s'avère jamais simpliste ou trop manipulateur. C'est sur cette fine et délicate ligne que se situe le scénario, se concentrant sur les échanges et les confrontations de groupes tout en limitant au maximum le développement personnel de l'individu, du simple héros.
Afin d'éviter la répétition qui aurait facilement pu s'installer dans ce type de procédé forcément verbeux et démonstrateur où la durée gruge le moral des personnages, le cinéaste développe son récit comme une pièce de post-rock. La tension monte lors des revendications des deux camps, les esprits s'échauffent gracieuseté de cette caméra à l'épaule et de ces plans serrés. Puis il y a l'explosion, une déflagration purement cinématographique où les corps se transforment en chaos lors de moments d'abstraction de haute voltige que n'aurait pas renié Eisenstein.
Ce qui permet aux spectateurs de se rattacher à ce sujet, outre qu'il est universel et cruellement d'actualité, c'est l'apport de Vincent Lindon en leader syndical. Comme voix du peuple, il ne se fait pas mieux. L'acteur, toujours d'une grande intensité, élève ici - comme si c'était possible - son jeu grâce aux directives du réalisateur qui l'avait déjà brillamment dirigé dans Mademoiselle Chambon et Quelques heures de printemps. Il est le visage de la révolte sans faire de l'ombre à tout ce qu'il représente. Et si sa motivation première (l'employeur a renié sa promesse) n'est guère éloignée des tribulations naïves d'un Guédiguian, ramener la notion d'honneur et d'idéaux à une époque dominée par l'argent, ne peut que ravir au plus haut point.
Charge ultraréaliste particulièrement relevée sur les effets du capitalisme sauvage, En guerre coupe le souffle et hante allègrement en créant une symbiose majestueuse entre l'art et les idées. On imagine déjà le revoir en compagnie de Sorry to Bother You pour se donner le goût de nous unir afin de bouger les choses.